jeudi 3 mars 2016

Voyage au pays des droits de l’Homme !



En mars 2015 j’avais eu l’occasion d’accompagner une classe de l’école européenne à Calais. A l’époque les « migrants» comme on les appelle là- bas, se trouvaient dans des jungles ou squats dans ou près de la ville.
la jungle des soudanais en mars 2015

La région est depuis des années un tremplin pour de nombreux Afghans, Africains, mais aussi Iraniens, Syriens et Irakiens  pour passer en Angleterre. Le hangar de Sangatte, ouvert en 1999, à la suite d'un afflux de réfugiés fuyant la guerre du Kosovo, avait été construit sur une colline. Une butte de laquelle on aperçoit toujours les côtes anglaises à chaque fois que le temps est clair. Sangatte a été fermé  le 5 novembre 2002 par Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Intérieur. Comme les raisons qui avaient mené hommes, femmes et enfants  à Sangatte n’avaient pas disparues, les migrants successifs se sont installés ailleurs dans la région, notamment à Calais et à la Grande Synthe. Le mythe de l’Angleterre persiste et  les tentatives de passage continuent, malgré le renforcement des moyens de surveillance.

Pull and push

Qu’est ce qui rend l’Angleterre si attrayante pour ceux qui ont déjà fait des milliers de kilomètres et dépensé des milliers d’euros pour arriver au bout de la France? Des membres de famille y installés, une absence de carte d’identité et donc de contrôles, le tout combiné à une France peu attrayante, ce qui au vue des conditions dans les jungles est un euphémisme au plus haut degré !

La population de la ville de Calais est partagée: d’une part un nombre élevé de bénévoles mis à contribution depuis des années et une autre partie qui en a marre, qui considère que trop d’attention est apportée aux migrants au détriment d’une population résidente souffrant du chômage et d’une image dégradante de la ville dont pâtissent commerce et tourisme.
Squat en plein centre de Calais, mars 2015
En avril 2015 les habitants des jungles ont donc été forcés à s’installer à l’extérieur de la ville, autour de l’ancien centre aéré Jules Ferry, centre qui allait héberger femmes et enfants migrants.  Loin des yeux des Calaisiens la New Jungle s’est établie et a accueilli de plus en plus de migrants. Avec l’aide (financière) des associations des cabanes ont partiellement remplacé bâches et tentes de fortune.



Tribunaux et pouvoir publics

Face aux pouvoirs publics enclins à laisser pourrir la situation, la justice s’est manifestée à 2 reprises
En novembre 2015 le juge des référés du tribunal administratif de Lille avait fait droit à certaines demandes d’associations et de migrants. Dans une ordonnance du 2 novembre 2015, il avait ordonné à l’État à la commune de Calais  e.a. de commencer à mettre en place, dans les huit jours, des points d’eau, des toilettes et des dispositifs de collecte des ordures supplémentaires, de procéder à un nettoyage du site, de créer des accès pour les services d’urgence. Le Conseil d’Etat  a confirmé cette décision début janvier 2016. Toilettes, points d’eau et collecte d’ordures ad minima sont en place depuis lors.
La New jungle à Calais, avant l'intervention des non- bulldozers (23.2.2016)

A la mi - février la préfète ordonne l’évacuation d’une partie de la jungle.  Fait rarissime, une juge du tribunal administratif de Lille a visité, mardi 23 février, la « jungle » de Calais. Saisie par dix associations, mais aussi par 238 migrants, elle a observé la situation pour pouvoir établir si une évacuation du lieu est ou non « une violation des droits fondamentaux des individus ».
La magistrate a parcouru une partie du camp pour se faire une idée des conditions de vie dans ce bidonville, où vivent 3 700 personnes, selon le dernier décompte de la préfecture du Pas-de-Calais. Elle a visité des lieux de culte et le Centre d’accueil provisoire (CAP), où sont hébergés 1200 migrants dans des conteneurs chauffés. Le CAP en question a été mis en place par les pouvoirs publics suite à la décision du Conseil d’Etat de janvier. La centaine de containers  est entourée d’un grillage, prise d’empruntes, entrées et sorties contrôlées: ce CAP ne connait qu’un succès mitigé. De toutes façons il ne saurait accueillir toute la population de la jungle.
L’ultimatum fixé au 23 février à 20 heures a été  suspendu jusqu’à la décision de la juge survenue le 25 février à 16 heures. D’abord, la juge interdit toute action brutale en rappelant que « l’Etat s’est engagé (…) à une éviction progressive ». Ensuite, elle interdit de raser une longue liste de lieux de vie « soigneusement aménagés et répondant à un besoin réel ».
Sur les huit hectares qu’elle voulait rendre à la nature, la préfète du Pas-de-Calais devra donc conserver « notamment les lieux de cultes, une école, une bibliothèque, un abri réservé à l’accueil des femmes et enfants, un espace consacré aux mineurs… ».
une église au milieu des baraques (23.2.2016)
Reste à savoir à quoi serviront ces lieux, une fois les migrants évacués …
La Défenseure des enfants, avait également fait une visite du camp le lundi 22 février. Dans un bilan diffusé le lendemain, elle se dit « préoccupée par la situation actuelle des enfants et l’absence de visibilité concernant leur future prise en charge ». Elle « constate les efforts effectués pour organiser un espace d’accueil de jour pour les enfants » mais« déplore à ce stade que le droit à l’éducation de ces enfants soit loin d’être assuré ».

Sur les 326 mineurs isolés (non accompagnés) étrangers présents à Calais, un quart aurait moins de quinze ans, et le plus jeune, livré à lui-même, aurait 7 ans, selon le recensement effectué par France Terre d’Asile. Une quarantaine d’enfants non accompagnés seraient hébergés au CAP, « sans y bénéficier d’une prise en charge spécifique et sécurisée ».
Selon ses informations « environ 90 mineurs présents dans le camp de lande pourraient bénéficier du dispositif de regroupement familial en Grande-Bretagne où se trouverait un de leurs parents proches ». Elle invite les services de l’Etat à « mettre en œuvre ce projet dans le respect des droits fondamentaux des enfants, conformément au droit européen ».

Après le feu vert du tribunal que nous attendions sur place le Ministre de l’Intérieur s’est fendu d’une conférence de presse à la sortie du Conseil des Ministres de l’Intérieur à Bruxelles retransmise en direct sur BFM-TV. Eine Märchenstunde mit Onkel Cazeneuve! Avant toute chose la France allait offrir une alternative à tous les migrants, il n’aurait jamais été question de procéder par la force, la présence de bulldozers dès lundi était une rumeur non fondée, on allait de manière progressive, par la persuasion et dans le respect de la dignité des personnes, etc.etc.
On sait ce qu’il est devenu de ces paroles en l’air !
Un recours - non suspensif de la décision du tribunal administratif a été introduit ….

L’arrogance faite homme!

Ouvrons une parenthèse. A la conférence sur la sécurité de Munich le Premier Ministre avait ouvertement critiqué la politique de la RFA. « L’Europe ne peut accueillir davantage de réfugiés, a-t-il déclaré. La France s’est engagée pour 30 000 réfugiés. Dans le cadre de ces 30 000, nous sommes toujours prêts à accueillir des réfugiés. Mais pas plus. »

une aire de jeux

Le propos de M. Valls est d’autant plus inopportun que la France n’a reçu dans le cadre des programmes de relocalisation européens qu’une centaine de Syriens, tandis que l’Allemagne a ouvert ses portes en 2015 à plus de 800 000 réfugiés. Mais il a le mérite de clarifier les choses  : depuis le début de la crise, Angela Merkel et François Hollande ont fait mine d’être d’accord, alors qu’il n’en était rien. (Le Monde du 15 février 2016).
Quelle arrogance !

la bibliothéque de la jungle

Dans la critique frontale du gouvernement par Martine Aubry et consorts du 25 février 2016 on peut lire : "Par une regrettable accélération du temps, la semaine dernière, ce fut la meurtrissure de l’indécent discours de Munich, à propos des réfugiés. Se revendiquer d’une liberté de ton n’autorise pas tout. Non, Angela Merkel n’est pas naïve, Monsieur le premier ministre. Non, elle n’a pas commis une erreur historique. Non, elle n’a pas mis en danger l’Europe, elle l’a sauvée. Elle l’a sauvée du déshonneur qui aurait consisté à fermer totalement nos portes à toutes ces femmes, ces hommes et enfants fuyant les persécutions et la mort et en oubliant ceux qui chaque jour perdent la vie en Méditerranée.

La fermeté, c’est le langage qu’il faut tenir à ceux des Etats européens qui s’exonèrent de toute solidarité, de toute responsabilité à l’égard des réfugiés. La France ne doit pas être de ceux-là. La France, quand elle s’appuie sur ces valeurs comme elle l’a fait dans son histoire en accueillant les opposants des dictatures par exemple, est un pays respecté, admiré et aimé. Cela oblige les femmes et les hommes qui le dirigent. La mission de la France n’est pas de dresser des murs, mais de construire des ponts. Sans nier un seul instant l’ampleur du problème, nous attendons de la France qu’elle se tienne aux côtés de ceux qui agissent."


Fermons la parenthèse et rendons - nous à la petite ville de Grande Synthe, à côté de Dunkerque, distante d’une trentaine de kilomètres de Calais.


Si volonté politique il y a …

De l’autre côté d’une cité résidentielle voilà une « véritable jungle: bâches et tentes sous les arbres, des allées et sentiers de boue,
des gosses dans des bottes beaucoup trop grandes, une présence policière accrue, des bénévoles allemands et suisses animant une cuisine financée par crowdfunding.

la jungle "kurde" de Grande Synthe
Cette jungle est essentiellement habitée par des kurdes d’Irak. Au - delà de la boue c’est la présence pesante des passeurs qui flotte dans l’air. On aurait tendance à appeler cette présence de nauséabonde, mais quelle autre voie que celle des passeurs reste à ceux qui ont échoué ici ?
Grande Synthe est moins sur les radars de la presse et sous la pression des autorités préfectorales. Alors qu’à Calais mairie (de droite) et gouvernement (apparemment de gauche) s’emploient à faire disparaitre - d’abord du paysage urbain, puis pour de bon - le bidonville, le maire écolo de Grande Synthe s’y prend autrement. Certes il veut récupérer le terrain pour y faire un éco-quartier, mais pour reloger les « résidents » de la jungle, il leur fait construire à 2 km de là un campement. Il a chargé MSF d’y construire  des cabanes en bois, dresser des tentes isolées et installer des containers avec toilettes et douches de quoi pouvoir accueillir 2 500 migrants.
un camp pour 2 500 migrants
MSF à l'oeuvre

Le site devrait être opérationnel à la mi - mars 2016. Pas de clôture, ni de prise d’empruntes, mais le minimum vital, y compris un centre médical.

A Calais et à Grande Synthe de nombreux bénévoles essaient de soulager la situation des migrants. L’initiative luxembourgeoise « catch a smile" y fournit vêtements et équipements ( tout comme elle le fait sur d’autres points chauds de la route des Balkans.
Les lycéens de l'Ecole européenne à la distribution des vêtements , mars 2015
Des issues seront sans doute trouvées pour des mineurs non accompagnés qui ont de la famille en Grande Bretagne. Toujours est - il que les migrants arrivés jusqu’au Pas de Calais sont rares à saisir la possibilité de demande l’asile en France. Ne peut - on comprendre leur hésitation quand on voit le « trait
ement » qui leur est fait sur place.

Lorsqu’un pays s’autoproclame patrie des droits de l’Homme, il est le seul à pouvoir se retirer ce titre. C’est ce que la France est en train de faire à grands pas ! 

serge kollwelter 3 mars 2016

(séjour sur place du 23 au 25 février 2016 avec une équipe de la télé luxembourgeoise. Reportage à voir : Top Thema magazine du 29 février 2016: http://tele.rtl.lu/emissiounen/top-thema-magazin/3056157.html )



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