in: FORUM november 2020
Pour les élections présidentielles de 2016 aux Etats-Unis, un seul Luxembourgeois était sur place comme observateur. Eugène Berger s’y était rendu au nom de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). L’occasion de se pencher sur les missions d’observation électorale.
En 2020, trois Luxembourgeois, un par parti de la coalition, auront été à pied d’œuvre pour les élections aux Etats-Unis. En tant que membre de l’OSCE, les Etats-Unis, tout comme les autres 56 pays membres, peuvent inviter des missions d’observation sur base de confiance mutuelle. Actuellement, l’adaptation de la base légale pour les observateurs de l’OSCE à choisir par le gouvernement luxembourgeois empêche le Grand-Duché de participer à de pareilles missions. Le projet de loi 7325 n’a pas encore abouti1.
Autre opérateur de missions d’observations électorales : l’Union européenne (UE). Un Etat ne faisant pas partie de l’OSCE pourra lui demander d’assurer une observation. L’UE estime que pareilles missions contribuent à la protection et à la promotion des droits humains ainsi qu’au soutien à la démocratie et constituent la pierre angulaire de la politique extérieure et de la politique de coopération au développement de l’UE. En 2019, cette dernière a effectué douze missions d’observation dans les pays suivants : Mozambique, El Salvador, Nigeria, Kosovo, Myanmar, Sénégal, Malawi, Zambia, Sri Lanka, Gambia, Bolivie et Ghana. Selon le cas, d’autres observateurs seront sur le terrain : la Ligue arabe, l’Union africaine, le Conseil de l’Europe, le (Jimmy) Carter Center, le British Commonwealth (dont le Mozambique est membre !), la Fédération internationale pour les droits humains, etc.
En 1999, le Conseil de l’Union européenne a publié des Directives de l’UE concernant des critères communs pour la sélection d’observateurs des élections. Ces directives définissent des standards minimums à remplir par tous les candidats et comprennent des critères comme une expérience en matière de surveillance des élections et des capacités relationnelles. Il appartient au ministère des Affaires étrangères et européennes d’accepter un candidat comme observateur potentiel. Actuellement, la liste des observateurs électoraux potentiels au Luxembourg comporte environ 135 personnes, dont certaines n’auraient cependant jamais participé à une mission. Le processus de sélection des observateurs électoraux comporte deux étapes : une présélection est effectuée au niveau de chaque Etat membre, la sélection finale revenant à la Commission européenne. Les missions réalisées par l’OSCE et par l’UE ne se distinguent guère, si ce n’est que pour les premiers, l’éventail des observateurs est plus vaste et que le choix ainsi que les frais des observateurs incombent aux pays qui les envoient, alors que c’est l’UE qui choisit et qui finance.
Si le jour des élections, la mission devient visible, les préparatifs sur place auront commencé deux mois auparavant. Le core team sera en effet sur place deux mois avant l’échéance et analysera la situation, observera les médias, la propagande et l’établissement des listes électorales. Un mois plus tard, des tandems de long-term observers (LTO) avec interprète et chauffeur vont essaimer à travers le pays pour préparer la venue des short-term observers (STO). Ceux-ci seront sur place pendant 10 à 15 jours, ils seront briefés dans un hôtel de luxe de la capitale et seront répartis à travers le pays. En région, ils vont loger modestement et bénéficier de l’appui des LTO qui y auront pris contact avec les autorités régionales et locales : préfets, police, partis politiques, médias locaux. Dans un grand pays comme l’Ukraine, il y aura près de 1 000 STO, des dizaines de LTO et un staff central d’une cinquantaine d’experts… une entreprise de grande envergure. Sur place, le tandem de STO – toujours composé d’une femme et d’un homme venant de pays différents – aura à sa disposition un chauffeur et un interprète, à moins que la mission n’ait lieu dans la langue du pays que les observateurs devront connaître. Ce fut le cas pour les élections d’octobre 2019 au Mozambique, où tous les membres de la mission devaient parler le portugais. Il va sans dire que l’observateur aura un contact beaucoup plus direct avec les autochtones que par le truchement d’un interprète. Un per diem sera remis aux STO pour payer leurs frais de logement et de nourriture. A la clé, il leur restera quelques centaines d’euros comme « indemnité ».
Comment sont perçus les « blancs » venus de loin ? La stricte neutralité qui leur est imposée ne favorise pas le contact avec les autochtones. Donnons la parole à Charlotte Wiedemann, qui écrit à la page 68 de son livre Der lange Abschied von der weißen Dominanz, dans le chapitre „Prestige“ : « Was unter dem globalen Rang von Weißsein zu verstehen ist, erschließt sich bei der Betrachtung des Fotos einer europäischen Wahlbeobachterin in Mali. Durch Habitus und Körperhaltung wirkt sie sehr jung, wie eine Abiturientin, obwohl sie vermutlich einige Jahre älter ist. Der Eindruck von Unbekümmertheit wird durch einen Kapuzenpulli unterstrichen; so leger würde sich keine Malierin in solch einer offiziellen Funktion kleiden. Während die junge Frau das Geschehen in einem Wahllokal beobachtet, hat sie eine Hand schützend auf ihre Umhängetasche der Marke “Picard” gelegt. Eine Malierin in diesem Alter hat in ihrer Gesellschaft wenig zu sagen. Wir könnten die junge weiße Frau also als ein Vorbild für Emanzipation betrachten: Sie fährt in ein Land fern der Heimat, um dort für Demokratie einzutreten. Von den Maliern, Männern wie Frauen, wird sie aber in ihrer Rolle nur aufgrund ihres globalen Rangs respektiert: Er macht sich an ihrer Hautfarbe fest und an der Tatsache, dass sie aus einem Europa kommt, von dem ein hoher Prozentsatz des malischen Nationalhaushalts abhängig ist.2 »
Le travail des STO se présente de la façon suivante : après un briefing régional par les LTO et à partir d’une liste de bureaux, ils en choisiront une douzaine qu’ils vont identifier les jours précédant les élections en vue d’y faire une observation. Le jour le plus long commence par les préparatifs d’ouverture d’un bureau de vote, disons à 6 h 30. L’observation proprement dite durera une demi-heure par bureau de vote. Il y a une dizaine d’années, les STO devaient faire parvenir leurs fiches d’observation par fax au core team deux à trois fois pendant la journée. Encore fallait-il trouver un fax en pleine pampa un dimanche ! Aujourd’hui, une tablette transmet chaque fiche de sorte que la centrale et les informaticiens de l’UE à Bruxelles sont au courant à l’instant. Les STO vont assister à la fermeture d’un bureau et au comptage. La nuit sera longue, puisqu’il faudra faire le suivi de la tabulation régionale. Heureux les STO qui seront à deux tandems pour se relayer, parce que ce comptage pourra durer deux jours (et deux nuits). Il m’est arrivé de rentrer de Tirana à Luxembourg, alors que tous les bulletins n’avaient pas encore été comptabilisés. Le surlendemain des élections, le chef de mission, généralement un parlementaire de l’OSCE ou de l’UE, fera une première déclaration officielle préliminaire. Un débriefing de tous les observateurs aura lieu avant leur retour. Une déclaration officielle suivra trois mois plus tard.
La diplomatie n’est cependant pas absente des déclarations de l’UE. Prenons le cas du Mozambique. Alors que les fraudes étaient patentes, au point qu’un assesseur de bureau de vote avait transféré de façon systématique les suffrages portés au parti Résistance nationale mozambicaine (Renamo) au Front de libération du Mozambique (Frelimo), et ceci sous les yeux des observateurs de l’UE. La déclaration préliminaire était apparemment critique pour des textes de ce genre, mais nous étions fortement déçus en tant qu’observateurs. Elle était intitulée Well-organised voting preceded by a campaign marred by violence, limitations to fundamental freedoms and doubts about the quality of the voter register. On y note l’insuffisance des moyens pour assurer la qualité des listes électorales et des restrictions à la liberté de réunion, sans préciser que ces facteurs désavantageaient les partis d’opposition par rapport au tout-puissant Frelimo3.
Observation sur le terrain et déclarations diplomatiques
Qui était encore intéressé à la déclaration finale faite le 12 février 2020 dans laquelle, selon la BBC, « L’Union européenne a qualifié d’“étonnante” l’ampleur du truquage des votes lors des élections d’octobre dernier au Mozambique »3 ? Le président était en fonction, idem le Parlement et les assemblées régionales : qui se souciait encore de cette déclaration ? L’UE reviendra-t-elle avec une mission pour les prochaines élections au Mozambique ? Toujours est-il que la déclaration finale constata que dans la moitié des 51 centres de tabulation observés par l’UE, les procédures n’étaient pas respectées : dans une province, le nombre d’inscrits sur une liste provinciale avait doublé depuis les élections précédentes, le Frelimo utilisait les ressources de l’Etat qui étaient refusées aux autres partis, la police ne rapportait pas les incidents signalés, de nombreux observateurs nationaux étaient refusés, etc.
Il faut évidemment tenir compte du contexte géopolitique. Au Mozambique, la Russie – traditionnellement proche du Frelimo – et la Chine se sont rendues indispensables pour exploiter les richesses naturelles de ce pays : gaz, pétrole, or et terres rares. L’UE peut-t-elle refuser l’invitation pour une mission d’observation ? Pas besoin de s’attendre à ce que le Frelimo demande un certificat de démocratie aux deux grandes puissances actives sur son terrain.
Quelques remarques issues de mes six missions dans quatre pays
L’observation in situ est d’autant plus efficace qu’il y a beaucoup d’observateurs nationaux qui passent toute la journée dans un même bureau de vote. Dans les pays à parti dominant, l’opposition peine à disposer de nombreux observateurs et à obtenir des agréments. Si fraude il y a, elle ne se passe pas dans les bureaux de vote : la constitution des listes d’électeurs, le transport des urnes du bureau de vote au centre de tabulation, la tabulation nocturne lorsqu’au petit matin, malgré d’intenses doses de café, l’attention diminue, la tentation est facilitée par un éclairage minimaliste consistant parfois dans les seules lampes des téléphones portables. Un parti dominant et bien organisé saura en tirer avantage.
Après avoir déposé son bulletin dans l’urne, partout l’électeur signe la liste des noms inscrits prouvant de la sorte sa participation. Au Luxembourg, c’est un assesseur qui coche sa liste. Des amis étrangers votant pour les municipales chez nous étaient étonnés de l’absence d’émargement et ce, d’autant plus que le vote est obligatoire chez nous. Confiance, confiance ! L’émotion n’est pas absente quand on voit des vieillards tunisiens faisant la queue une heure avant l’ouverture des bureaux, ne voulant pas rater leurs premières élections libres.
L’infrastructure physique des bureaux de vote est partout beaucoup plus légère qu’au Luxembourg : les isoloirs en carton coloré se montent le matin sur une table, sans encombrer outre mesure les salles de classe qui hébergent les votations. Les urnes sont toujours transparentes. En Tunisie, toute propagande électorale aux alentours des bureaux de vote doit avoir été enlevée le matin des élections.
Luxembourg et Luxembourgeois
Du 12 au 14 juin 2018, une délégation de l’OSCE était à Luxembourg et établit un rapport après la consultation de nombreuses instances, dont faisaient partie les partis politiques, mais aussi l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI), la Commission consultative des droits de l’Homme (CCDH), le Zentrum fir politesch Bildung (ZPB) et la Ligue des droits de l’Homme. La délégation n’a pas estimé ni utile ni nécessaire d’effectuer une mission d’observation pour les élections générales d’automne 20185.
Dans Le Quotidien du 9 novembre 2016, Eugène Berger déclara que les Etats-Unis étaient prêts « à accepter une première fois à l’occasion d’un scrutin une mission d’observation menée par près de 130 députés de Parlements internationaux […]. Eugène Berger et son équipe ont toutefois vécu un épisode “limite”. “Dans un bureau de vote, une observatrice présente pour le compte des républicains s’est mise à influencer et même intimider le président du bureau pour nous faire virer. Cela a été très limite, d’autant plus qu’on a bien été prié de quitter les lieux. Visiblement, on dérangeait”, constate amèrement Eugène Berger ».
Je n’ai pas vécu de pareilles situations, au contraire, très souvent les présidents des bureaux de vote étaient extrêmement avenants. Attendons les constats des trois députés luxembourgeois à leur retour d’outre-Atlantique en novembre.
1 http://legilux.public.lu/eli/etat/projet/pl/10452 (toutes les pages Internet auxquelles est fait référence dans cette contribution ont été consultées pour la dernière fois le 8 octobre 2020).
2 Charlotte Wiedemann, Der lange Abschied von der weißen Dominanz, München, dtv, 2019, p. 68.
3 Les deux rapports de la mission 2019 de l’UE au Mozambique : https://ec.europa.eu/info/strategy/relations-non-eu-countries/types-relations-and-partnerships/election-observation/mission-recommendations-repository/missions/37
4 https://www.bbc.com/afrique/51486641
5 Le rapport 2018 de l’OSCE sur le Luxembourg : https://www.osce.org/odihr/389582
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire