L'anecdote citée ne doit pas cacher pour autant un ouvrage bien structuré et bien documenté. Elle est un élément illustrant le style de l'auteur qui fait qu'alors que l'anglais est une langue qui me coûte, j'ai dévoré le livre d'un trait.
Successivement Fetzer évoque en 9 chapitres distincts l'histoire et la politique d'immigration, l'opinion publique et les attitudes anti-immigrés, la scolarisation, le marché de l'emploi, le logement, l’intégration par le sport et les organisations politiques, les pratiques religieuses, le droit de vote et les instances consultatives, des leçons pour d'autres pays d'immigration.
Les chapitres sont quelque peu inégaux, nous allons nous arrêter sur ceux qui méritent un commentaire tout en notant un absent quasi permanent: le frontalier.
Dans le chapitre sur la scolarisation que l'auteur qualifie de "much less of a success story", il passe en revue 3 hypothèses de réduire l’importance d'une des 3 langues utilisées à l'école fondamentale. Les cours intégrés de langue maternelle fonctionnant à Differdange sont donnés en exemple sans faire état qu'il y en a ailleurs, ni de leur évolution éventuelle. Il ne semble pas connaitre les travaux effectués sur la situation linguistique entre autres par Charles Berg et le Conseil de l'Europe. Pas de questionnement des méthodes d'apprentissage des langues, hélas! La conclusion de ce chapitre, la voici: " Perhaps they (un nombre croissant d'électeurs étrangers) will eventually come to view the status quo educational system as a form of institutional "affirmative action" for middle class native Luxembourgers at the expense of working class immigrants (..). "
Dans le chapitre du logement on évoque le soutien à l'acquisition des habitations et on se félicite d'absence de grands ensemble - ghettos type HLM, comme s'il s'agissait de la seule formule possible de logements sociaux, sans pointer le faible impact du petit parc locatif public sur les prix des loyers. A quand un chercheur qui se pencherait sur la nationalité des propriétaires du foncier et d’éventuels liens à faire quant à la (non-)lutte contre la spéculation foncière?
Le volet étrangers et sport au Luxembourg, n'ayant guère encore été abordé par d'autres auteurs, je m'attendais sans doute à trop. Intéressant la comparaison de la composition des " premières ligues" en football à travers l'Europe: le Luxembourg est champion quant au nombre d'étrangers par équipe devant le Royaume-Uni et le Portugal! Dommage que le volet foot portugais (championnat à part) n'ait pas été creusé! Attendons donc que quelqu’un se penche de plus près sur les équipes de foot ethniques, des championnats séparés puis leur insertion dans la Fédération Luxembourgeoise de Football.
Fetzer, qui affiche son background religieux, fait le tour de différents groupes religieux et pointe le côte à côte des différentes communautés linguistiques au sein de l’Eglise catholique. La photo de la couverture montre la sculpture de Yvette Gastauer - Claire dans le quartier Italie avec l’inscription : «Ech war friem an dir hutt mech opgeholl» (Mathieu 25,35)
Dans le volet participation et organes consultatifs, Fetzer connaît la loi d'intégration de 2008, mais décrit la composition du Conseil National pour Etrangers selon la loi précédente, de même que les instances consultatives communales.
Dans ses conclusions, l'auteur parle de quelques centaines de Luxembourgeois partis habiter en Allemagne en partie pour cause de leur malaise avec la société multiculturelle, alors que quelques pages auparavant il précisait que les logements y étaient moitié moins chers.
D'ailleurs si la conclusion de l'illustre auteur s'avérait juste sur ce point, ceux-là mêmes risquent de retrouver le milieu multiculturel qu'ils connaissaient au Grand-Duché, puisque dans plus d'un village en Allemagne, ils y retrouvent Portugais, Danois ou Anglais ayant à leur tour franchi la Moselle.
Vue ibérique
Passant à l’immigration, bref survol de l’italienne et de l’espagnole, pour arriver à la page 179 à l’immigration portugaise au Luxembourg. Je ne nie pas l’intérêt que peuvent revêtir ces pages antérieures, attaché au titre du livre, je le retrouve maintenant seulement. Nogueira brosse un tableau des raisons d’émigrer des Portugais, du régime oppresseur aux crises économiques en passant par les guerres coloniales et une large part de la population confinée dans l’agriculture de subsistance et l’analphabétisme. L’auteur établit une liste de la francisation de la langue portugaise: de l’essência (essence) aux vacancias, encore que la «Maria» (mairie) de France est devenue au Luxembourg «a Comuna». Dommage que le lecteur portugais (notamment du Portugal) ne trouve qu’une énumération de titres d’oeuvres littéraires luxembourgeoises traitant de l’immigration: une fois que l’ami Antonio sera plus familier de la langue de Michel Rodange nous en saurons sans doute davantage.
Le chapitre sur la vie associative ne pousse malheureusement pas au delà de la sphère de l’Eglise, des Amitiés Portugal- Luxembourg, du LCGB et du journal Contacto, tous les quatre du même groupe sanguin. A propos Contacto: il semble être la seule source consultée pour la décennie ’70 sous le chapitre: «Sujets d’actualité répercutés par le journal Contacto»: on y évoque e.a. la polémique autour du dernier consul fasciste au Luxembourg, sans tracer le contexte ou les agissements de ce personnage qui avait ses entrées dans tous les cercles démocratiques de la place. Avant d’en arriver à des conclusions, on nous présente les résultats de lEtude européenne sur les valeurs, notamment pour ce qui est de la dimension religieuse.
Le livre d’Antonio Vasconcelos Nogueira contient une mine d’informations, brosse un tableau bien au-delà du titre sans que l’on puisse toujours établir un lien. Sa structuration est quelque peu chaotique et laisse le lecteur sur sa faim en de nombreux domaines. Il constitue néanmoins un élément valable dans l’édifice de la connaissance des «Portugais au Luxembourg».
PS En fouinant dans mes archives j'ai retrouvé une interview avec Antonio de Vasconcelos Nogueira dans Contacto du 27 juillet 2011.
Je cite:" Pour accéder directement à des sources j'ai eu à surmonter des difficultés, on m'a créé des problèmes. Voulant accéder à des chiffres sur les suicides, par exemple, on me dit à la Bibliothèque Nationale, que cette source avait disparue. C'était un sujet incommode, qu'on ne voulait pas partager avec un chercheur indépendant, étranger, qui plus est portugais. Trois ans plus tard, j'y ai eu accès par une autre voie, sans préciser que je cherchai des données sur les suicides. Mais, voulant faire des photocopies, constatant qu'il s'agissait de ce sujet, on m'a empêché d'en faire."
Serge Kollwelter
Joel Fetzer, 2011, Luxembourg as an immigration success story, Lanham, Lexington Books (159 pages)
Antonio Vasconcelos Nogueira, 2011, Os Portugueses no Luxemburgo, Lisboa, ed.: Antonio Vasconcelos Nogueira (314 pages)
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