samedi 9 février 2013

La Citoyenneté de résidence: tenir compte de la réalité



 Faire découler des droits politiques de la résidence a évidemment une incidence particulière au Grand Duché. Faire dépendre des droits politiques exclusivement de la nationalité, comme c'était traditionnellement le cas, aurait pour conséquence de tenir à l'écart 42% des habitants du Luxembourg, les deux tiers des actifs et la majeure partie des jeunes. Faire des pas vers la citoyenneté de résidence, c'est le traité de Maastricht qui a inauguré cette voie.

1992, traité de Maastricht donc... On y procréé en quelque sorte le futur euro, on y baptise l'Union européenne, on y met en place les trois piliers... Au Luxembourg, c'est l'accès au droit de vote communal et européen des ressortissants d'un État membre qui domine les débats autour de ce traité. Que ce soit lors du changement de la Constitution, lors de la ratification du traité ou de la transposition de la directive afférente.

Ce premier pas vers la citoyenneté de résidence, adouci pour le Luxembourg par la « conquête» de dérogations comme de longues périodes de résidence, conduira vers d'autres ouvertures assumées par le Luxembourg seul. Du droit de vote communal des seuls ressortissants de l'UE, le Grand Duché est passé au vote actif et passif pour tous les citoyens pouvant faire valoir cinq années de résidence et donnant accès aux postes de l’exécutif communal qu’est le collège échevinal.

Le dispositif communautaire prévoit un accès au droit de vote communal pour les ressortissants d’un autre État membre aux mêmes conditions que pour les nationaux. Ceci signifierait au Grand Duché pas de délais de résidence : un Luxembourgeois revenant d’un séjour de 20 ans aux États Unis la semaine avant les élections communales pourra y participer, pour être candidat il faut habiter 6 mois dans la commune (et donc au Luxembourg). La question de l’inscription d’office sur les listes électorales est explicitement écartée par le traité, elle garantirait cependant un véritable accès égal, tout comme l’abolition pour tous du vote obligatoire d’ailleurs.

Pour les élections européennes, le délai de résidence des ressortissants d’un autre État membre a été ramené à 2 ans. Irlandais et Hongrois qui ne peuvent voter chez eux pour ne pas y résider, sont admissibles sans délai de résidence.

Une citoyenneté de résidence devrait permettre aux résidents venant d’un pays tiers de participer au scrutin européen. Si le traité de Maastricht ne le prévoit pas, qu’est ce qui s’oppose à ce que le Luxembourg l’applique ?

Le 26 septembre 1987 (jour de l’ouverture du 6e Festival de l’Immigration) la journaliste Viviane Reding estimait dans les colonnes du Luxemburger Wort que tous les Luxembourgeois raisonnables refusaient strictement le droit de vote des étrangers. Le nombre de Luxembourgeois raisonnables a-t-il à ce point diminué ou bien le bon sens de la population et des politiques n’a-t-il pas simplement évolué, Maastricht aidant ?

L’enjeu essentiel est évidemment le scrutin législatif . Aujourd’hui de plus en plus de voix osent évoquer cette perspective: responsables politiques et employeurs pour ne citer que ceux-là.

La modeste participation des étrangers aux élections communales est évoquée par d’aucuns pour écarter l’étape suivante au plan national. Ce sont souvent les mêmes qui vantent par ailleurs la bonne intégration des étrangers. Bonne au point qu’ils se désintéressent granducalement de la désignation de celles et ceux devant légiférer et gouverner. Ils balaient d’un revers de manche leur légitimité décroissante.

Longtemps le nombre de députés était lié au nombre d’habitants, puis il a été fixé à 60 en 1988. Si les députés représentent toute la population, les seuls électeurs luxembourgeois n’auraient droit qu’à 34 députés, les autres 26 sièges restant vacants jusqu’à ce que le suffrage redevienne universel !

Au plan communal la situation n’est guère différente, si ce n’est que le nombre de conseillers continue d’être fixé selon le nombre d’habitants, étrangers compris.
Le législateur avait arrêté ce principe à un moment où la présence d’étrangers était numériquement peu importante. Or l’augmentation significative de la population au plan national de 350 000 en 1981 à 500 000 de nos jours a eu des répercussions dans toutes les communes où le nombre de conseillers communaux a augmenté en conséquence. La relation entre le nombre d’électeurs et le nombre de conseillers communaux s’est distendue. Si nous la ramenions à sa juste valeur en ne tenant compte que des seuls électeurs en 2005 , luxembourgeois et étrangers inscrits sur les listes électorales, la plupart des communes auraient des conseillers «en trop» puisque toute la population est comptabilisée. Toutes les communes ont des conseillers «en trop», de 1 à 16 selon le cas.  Voici quelques exemples particulièrement parlants. Bertrange a 13 conseillers, en ne prenant en compte que les électeurs Bertrange aurait droit à 6 élus de moins, ce sont ceux que Bertrange doit aux étrangers non électeurs : score 6/13. Quelques autres exemples : Differdange 8/17, Esch-Alzette 9/19, Luxembourg 16/27, Pétange 6/15 et Strassen 5/11.

Si l’intérêt des étrangers pour les élections laisse encore à désirer, la question du même intérêt des nationaux ne se pose pas, l’obligation de vote ne permettant pas de le savoir. L’intérêt des partis politiques n’est pas débordant non plus. Souvent la recherche d’un ou plusieurs candidats étrangers alibi pour les listes de candidats aux communales le montre. Tant que les partis politiques n’auront pas intégré des étrangers dans leurs structures ils y continueront de parler d’eux au lieu d’y parler avec eux. Dès lors leur réveil sera saisonnier, quelques mois avant une échéance électorale ou européenne.

Si la possibilité de la nationalité multiple contribue à élargir modestement le corps électoral, la délégitimation croissante des institutions ne pourra être renversé que par une citoyenneté de résidence, à moins de se satisfaire d’une situation d’apartheid soft.

Il y a lieu cependant de relever encore un élément dans le cadre du débat  sur l’accès au droit de vote pour les législatives. Tenant compte du fait que 70% de la législation nationale découle de la législation de l’UE par la transposition des directives européennes, il convient d’analyser le corps électoral qui désigne un des deux législateurs européens, en l’occurrence le Parlement européen. Les  Grand - Duché y participe par 6 députés sur un total de 754. Va-t-on dire que ces lois sont « imposées » par 748 non résidents ? Quant à la désignation de nos 6, le corps électoral comprend d’ores et déjà des non-Luxembourgeois  admissibles comme électeurs après 2 ans de séjours. Si 70% de notre législation est le fruit d’apports « étrangers » l’influence des résidents étrangers sur le choix des députés pour la Chambre des Députés se limite à peu de choses. Il ne faut certes pas sous-estimer l’importance du 2e législateur européen, le Conseil des Ministres. Les Ministres luxembourgeois qui en font partie ont une légitimité de leur majorité parlementaire élue par 45 b% de la population.
Le déficit démocratique interpelle d’aucuns et semble arranger d’autres. Vous avez dit : suffrage universel ?

Serge Kollwelterin Forum 326, février 2013

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