samedi 5 octobre 2013

Langues : agir pour parler !


in: Forum octobre 2013
Au moment d’écrire ces quelques lignes, je n’ai pas sous la main les programmes électoraux des partis politiques en matière de scolarisation. Je veux saluer ici la volonté de Mady Delvaux de relever les défis - connus depuis longtemps et largement refoulés. Derrière le mur du refus s’est constituée une coalition du status quo qui semble vouloir ignorer la réalité sociale changeante.
Le débat sur l’école débouche rapidement sur la question des langues, rendons – nous à la ligne de départ, le précoce et le préscolaire (cycle 1 de l’enseignement fondamental). Ces 2 à 3 années mènent vers l’alphabétisation en langue allemande en cycle 2. Celle – ci est basée sur de larges connaissances du luxembourgeois que d’aucuns apportent de chez eux, d’autres sont amenés à acquérir. Sans vouloir diminuer le caractère essentiel  de socialisation à la « Spillschoul » et sans lui conférer un caractère trop scolaire, force est de constater qu’il y a une forte attente pour que les bambins qui en sortent soient bien équipés en compétences linguistiques pour aborder la scolarité, la vraie ! Avec Léon  comme seul copain étranger dans la bande de 25 au primaire des années ’50 , celui-ci  était bien entouré et la langue luxembourgeoise s’imposait toute seule. De nos jours dans la même école, 3 luxembourgeois sont entourés d’une douzaine d’enfants n’apportant pas le luxembourgeois de chez eux. C’est au préscolaire que se joue l’avenir scolaire des enfants, estime-t-on en Finlande et on y dédie les enseignants les mieux formés.
Nous voilà arrivés au primaire (cyle2). Les institutrices et les (quelques ) instituteurs (restants)  luxembourgeois y ont des compétences pour enseigner une langue étrangère et les utilisent pour la langue française en cycle 2.2. Pour l’allemand, nous faisons l’impasse sur pareille approche, comptant sur le transfert de larges connaissances du luxembourgeois vers la langue de Goethe.  Si ces connaissances sont étriquées, le transfert ne fonctionnera pas et c’est le cas pour de très nombreux élèves dont la langue du foyer familial est « étrangère ». Pour une très large part des enfants étrangers les difficultés en allemand apparaissent au grand jour après la phase d’alphabétisation proprement dite. Progresser en allemand, c’est grimper un escalier. Alors que leurs copains luxembourgeois montent ces marches en se servant de leur  langue maternelle comme main courante, cette aide fait défaut aux « autres », certaines marches sont trop hautes. Aborder aussi l’allemand comme une langue étrangère ne ferait de mal à personne.
Même si l’oral a gagné en importance  au fil des décennies à l’école primaire (il est noté à part dans les 2 langues) il n’en reste pas moins que c’est un oral scolaire et que le glissement vers la langue luxembourgeoise comme langue véhiculaire se fait presque d’office. Un potentiel s’est ouvert à ce stade avec la multiplication du teamteaching. Et si au 3e et 4e cycle les membres du teamteaching utilisaient chacun une autre langue, mais de façon conséquente, tant en cours de langue qu’en branches dites secondaires, y compris en gym ? Comme dans un couple bilingue, les enfants s’y feraient vite. Ce qui importe, c’est qu’ils commencent à se sentir à l’aise pour parler une langue. J’y reviendrai.
Pour améliorer le parler, ou plutôt pour vivre des situations où parler allemand ou français fait du sens parce que les interlocueteurs ne parlent que cette langue-là, l’école peut mobiliser des ressources en son sein et au delà. Depuis plus de 20 ans l’ASTI envoie tous les ans fin août  des jeunes de 12 à 14 ans pendant deux semaines dans des familles à Wittlich, un peu plus loin que Trèves. Ils y accompagnent le fils ou la fille de la famille à l’école qui y a déjà commencé, mais surtout seront - ils pendant ces semaines là en immersion complète. Des centaines d’enfants sont revenus non seulement avec des compétences orales assurées, mais encore avec une toute autre attitude vis – à – vis d’une langue qui jusque là ne leur causait que des soucis et des mauvaises notes !
Un projet pareil n’a pu se faire encore avec la France. A compter le nombre de classes tant du primaire que du secondaire qui se déplacent à l’étranger, les uns à la côte, d’autres en montagne, on peut se demander si cet effort ne pouvait être investi autrement, en séjours linguistiques, dans des familles et sur base de réciprocité. Pour en limiter les frais, pareils séjours linguistiques/ échanges scolaires  pourraient se faire en Grande Région avec comme bénéfice collatéral une meilleure connaissance mutuelle.
La floraison des maisons relais et autres foyers scolaires aboutit à une offre de type Ganztagsschule. L’offre s’est développée à cause des 2 parents occupés professionnelement qui n’ont plus la même disponibilité pour aider les enfants dans leurs devoirs à domicile, tout en sachant que d’autres n’en ont pas les moyens  linguistiques et de formation.  Le fait que les 2 structures dépendent de deux Ministères (Education et Famille) ne facilite pas les choses. En 2004, à quelues semaines des élections, l’ASTI avait organisé un débat sur cette question, Tous les partis, je dis bien tous, étaient d’avis que les 2 structures devaient être sous l’autorité d’un même Ministère. Il n’en a pas été  ainsi, les « savantes » raisons de coalition l’ont sans doute empêché. Cette question ne tient pas aux seules autorités de tutellle, elle doit s’accompagner d’un travail d’équipe regroupant instituteurs et éducateurs en équipe pédagogique, non pas pour que les uns et les autres fassent la même chose, mais qu’ils deviennent complémentaires. A cet effet, une formation partagée serait de mise : elle n’entrainerait pas de gros  soucis logistiques, puisque futurs enseignants et éducateurs sont sur un même campus à Walferdange. Le responsable de la structure d’accueil devrait être membre d’office du comité de l’école fondamentale. Et ce comité serait animé par un directeur - âme du projet pédagogique qui aurait fait un master adapté à l’université.
Et la relation avec les parents ? Leur intérêt pour l’école n’est pas toujours au rendez - vous? Y ont – ils une place  au delà de leur représentant au comité d’école ou dans les réunions de parents ? Et si – disons une fois par mois le samedi matin il y avait une activité avec les parents à l’école, en les  impliquant?  Je ne puis m’empêcher de citer une expérience rencontrée il y a une trentaine d’années. Une collègue du préscolaire permettait aux parents de rester en salle de classe jusqu’à 9 heures : il s’agissait surtout de mères.  Qui de la sorte y avaient tout normalent leur place. S’il arrivait que la titulaire de classe tombait malade, c’étaient ces mères qui faisaient le relais vers la remplaçante.
Assez d’anecdotes (pour l’instant),  passons au secondaire, autre période décisive. Avant d’en venir aux langues, nous dirons adieu au brassage social, et en route pour la ségrégation sociale. Je sais que la formule est forte, mais il s’agit quand même plus ou moins de cela. D’un côté les bons élèves issus des bonnes familles, de l’autre ceux de milieux moins favorisés, sans oublier les 15 % confinés dans le préparatoire. Le débat sur un tronc commun, sujet tabou par excellence, comprend bien sûr une dimension pédagogique, mais relèverait aussi de la cohésion sociale, question particulièrement importante au Grand – Duché.
Le classique comme pépinière  des futures élites fournit  des jeunes experts en 2 ou 3 littératures étrangères. Sont-ils pour autant à même de mener une conversation conséquente dans ces mêmes langues ? Un grand nombre de lycéens des classes supérieures qui m’ont fait part lors de discussions qu’ils avaient des problèmes pour parler français au supermarché ou chez le boulanger. J’en connais, qui à l’entrée en université francophone, ramaient en cette langue. Ceux – là mêmes ont fait peut être l’expérience que voici en classe de 2e . Cours de littérature française. Dans 5 minutes ce sera la récréation. Le professeur de dire que comme il n’y a plus beaucoup de temps et que si les élèves ont des questions, ils pouvaient les poser en luxembourgeois.   Je citerai aussi mon expérience de 15 années d’enseignement à l’ISERP – où l’on trouvait les jeunes avec les meilleures notes en langues au bac. Le cours se donnait  en français et quand j’encourageais les étudiants à poser des questions ou à intervenir, à chaque fois  ils me demandaient s’ils pouvaient le faire en luxembourgeois.
Si j’ai bien compris la réforme envisagée par la Ministre sortante, il y serait question de pondération des exigences linguistiques. Il est évident que de larges connaissances en plusieures langues constituent un avantage, y compris par rapportà aux frontaliers. Faut – il pour autant utiliser les langues comme moyen de sélection ?
A la fin de la scolarité, le jeune aura réuni un bouquet de langues, les vues actuelles veulent que ce bouquet soit constitué à l’identique pour chacun : autant de  Veilchen, de myosotis de daisies. Et si ce bouquet de même volume pouvait être autrement mélangé, tout en restant  plus grand que celui des jeunes de l’autre côté de nos frontières? Et quelques Veilchen remplacés  par un certain nombre de cravos, par exemple ? Une pondération des langues n’enlèverait rien au multiliguisme gravé dans le marbre il y a des décennies quand le latin faisait partie d’office du canon des langues des « élites ».
Pareille option serait donc prévue pour le technique, le classique s’opposant de toutes ses forces à pareil rabaissement de niveau, comme le proclament ses thuriféraires. Si la rengaine de la baisse de niveau entendue pendant un demi siècle  avait eu les effets annoncés, nous en serions  à la génération des analphabètes. D’après Madame Delvaux ce serait le blocage total, sans doute de la part des enseignants. Je les comprends : ils sont l’incarnation de ceux qui ont réussi dans le système scolaire, pour quoi y changer quelque chose ? A l’écart de la « racaille » depuis la 7e, ils peuvent se passer et passer à côté de la réalité sociale changeante: elle n’influera pas sur leur statut !
La propostion de recruter des native speakers pour l’enseignement des langues, figurant dans le programme gouvernemental de 2004, a fait long feu et a disparu sans laisser de traces dans celui de 2009.
Un dernier point qui relève de l’apprentissage de la vie en société démocratique et se limite souvent à l’instruction civique. Voici d’ailleurs une limitation extrème: en 2009 un cours d’instruction civique, se résumant toute l’année  à des films, a abordé  les élections la semaine après le scrutin de juin. Le peu de confiance accordée à l’éducation civique au secondaire par le législateur ressort du projet de loi devant modifier la naturalisation. Si ces dernières années les personnes ayant fait 7 années de scolarisation dans le système scolaire luxembourgeois étaient dispenés  de fréquenter des cours d’instruction civique en vue de l’acquisition de la nationalité luxembourgeoise, il n’en sera plus ainsi, ces cours devenant obligatoires pour tous. De la sorte les seuls pour lesquels ces cours ne seraient pas obligatoires sont des jeunes luxembourgeois.
Plus sérieusement, la prise en compte par l’école des jeunes en tant que (futurs) citoyens, respectivement dotés de tous les droits à l’âge de la majorité, doit être renforcée. Lors d’une discussion sur les droits de l’homme, la classe est très sceptique. J’essaie d’en savoir plus. Leurs actions auprès de la direction concernant un enseignant alcoolique n’avaient pas  abouti.  Plus tard, la personne avait été retirée de l’école. Les élèves étaient déçus, non pas du résultat, mais du fait qu’ils n’avaient pas été pris au sérieux et que la direction n’avait agit qu’après l’intervention des parents.
Lors de leur passage au lycée les élèves devraient aussi avoir l’occasion de suivre le travail  de ceux qu’ils ont élu au conseil d’éducation du lycée . Le pouvoir démocratique par délégation est l’essence de notre démocratie représentative. Il n’est pas compliqué de transmettre par internet les débats de cet organe vers les salles de classe où précisément à ce moment-là se dérouleraient les cours d’éducation civique. 
Et si le cours unique d’éducation sociale et morale, valorisé par des enseignants spécialisés, comblait cette lacune pour le plus grand bien du vivre ensemble en société !
serge kollwelter

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