L'école ne peut pas tout, mais quand même .....
Manuel, Tom et Fatima ont fréquenté pendant 8 ans la même école dans un quartier populaire de la capitale: préscolaire et primaire sous les auspices de la ville de Luxembourg. De belles années où Luxembourgeois et étrangers se sont côtoyés dans les maisons, les rues et sur les bancs de l’école. Depuis l’automne dernier, ils vont tous les trois au lycée. Ils prennent le matin le même bus les amenant au Limpertsberg, mais à hauteur du champ du glacis vient le moment de la séparation: Tom va au lycée classique, Fatima descendra à l’arrêt suivant pour son lycée technique et Manuel sera le dernier à quitter le bus, terminus régime préparatoire.
Ces arrêts de bus creusent le fossé social et amènent chacun des trois non seulement vers des destins scolaires différents, mais des mondes sociaux et professionnels séparés, des perspectives de vie écartés. Tom poursuit ses études dans un lycée avec 10% de non luxembourgeois, pour Fatima c’est un Luxembourgeois pour deux étrangers et Manuel n’aura que de rares autochtones dans son école. A 12 ans ils ont quitté la société multiculturelle qui leur était familière un an auparavant encore pour se retrouver entre « semblables ».
On en viendra rapidement à se poser la question du pourquoi de cette situation qui n’a pas seulement pour effet de gaspiller le potentiel des jeunes, mais aussi et peut être surtout d’être contreproductif au niveau de la cohésion sociale. Dans la phase où se développent et s’affirment les personnalités des jeunes, plus guère de brassage ethnique, ni social. Et si d’ailleurs ethnique et social se cumulaient ? Les étrangers de milieu favorisé auront trouvé refuge contre monnaie sonnante ou par le statut des parents dans une école internationale adaptée à leur contexte linguistique. L’inadaptation de l’école publique est une cause essentielle des échecs des enfants étrangers, fils de travailleurs immigrés.
L’école primaire fréquentée par nos trois jeunes est la même que celle qu’a fréquentée l’auteur de ces lignes, il y a un demi – siècle. A l’époque sur 25 élèves par classe il y avait un étranger, aujourd’hui sur 13 élèves par classe il y a 4 luxembourgeois. La présence significative de non –luxembourgeois est un phénomène des 30 dernières années et ce partout au pays. Se référer à la situation 1 sur 25 pour célébrer l’intégration réussie de jadis est soit dû à la méconnaissance, excusable bien sûr, soit à une résignation feinte qui finalement bloque l’ascenseur social et empêche l’accès à des qualifications certifiées. On peut se demander si à la longue il suffit de recruter dans la Grande Région et au-delà des jeunes avec des qualifications en une seule langue, alors que nous demanderons à nos jeunes du Luxembourg- allochtones et autochtones - des connaissances très poussées dans plusieurs langues et en empêche beaucoup de la sorte d’accéder à des qualifications.
Prétendre que le pétrolier géant auquel on compare l’Education Nationale n’a pas changé serait indu : on y a aménagé des cabines nouvelles, repeint les extérieurs, mis en place une ribambelle de « divertissements » à bord, sans vraiment changer la direction empruntée par cette grosse embarcation. Des milliers de membres de l’équipage quittent le bateau pour naviguer sous pavillon belge et atteindre des horizons inaccessibles sur le navire grand-ducal. Ils auront quitté le toit rouge-blanc-bleu, mais y reviendront avec des qualifications allant jusqu’aux galons académiques acquis sous les cieux bruxellois ou liégeois puis mis au service de la société grand-ducale. Par ce détour, ils ont échappé à la ségrégation à vie qui semblait être leur destinée.
Depuis 1994 que les classes complémentaires ont migré vers le secondaire technique sous la dénomination de régime préparatoire, la ville n'a plus de compétence en matière de scolarité des jeunes de plus de 12 ans. Il n’en va pas de même pour les élus communaux : tous les membres du collège échevinal par exemple sont législateurs nationaux et ont donc un mot (d’opposition) à dire à la Chambre des Députés. Sur les questions de scolarité.
Il faut souligner que la ville s’intéresse à cette tranche d'âge et y investit. Plusieurs contributions de ce numéro de ONS STAT l'illustrent d'ailleurs.
Et si l’urgence évoquée par le Conseil Economique et Social, regroupant employeurs, syndicats et gouvernement « de créer des structures scolaires beaucoup plus intégrées voire une structure unique pour les enfants âgés de 12 à 15 ans du type tronc commun » était mis en pratique peut – être que le sort d’autres Manuel, Tom et Fatima sera différent.
Serge Kollwelter
(pour ONS STAT)
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