lundi 20 décembre 2010

Le Quotidien (Luxembourg) : « Ce n’est pas une prison »


image François Biltgen (à droite) : «L'idée n'est pas de remplir ce futur centre (de rétention). Personne ne le veut.»

Illégal, coproduction belgo-luxembourgeoise, se penche sur la situation des clandestins placés en centre de rétention. Le film d'Olivier Masset-Depasse a fait réagir jusqu'au ministre de la Justice qui organisait jeudi soir un débat sur ce sujet à l'abbaye de Neumünster. Extraits.


De notre journaliste Romain Van Dyck

Après la projection du film au festival de Cannes, une journaliste m'a demandé mes réactions, raconte le ministre de la Justice. Je lui ai dit que c'était un très bon film, avec des personnages tout en nuances. Mais c'est aussi un film qui soulève des questions au Luxembourg.»
Pour y répondre, François Biltgen a organisé jeudi soir un débat à l'abbaye de Neumünster, en compagnie de plusieurs personnalités du monde politique et associatif.
Toutes se sont entendues sur un point : «C'est un film qui interpelle, provoque, bouscule», résumait le directeur de l'abbaye et animateur de ce débat, Claude Frisoni.
Fari Khabirpour, directeur du centre de rétention du Grand-Duché, nuance d'emblée: «Vous savez qu'un nouveau centre de rétention va être ouvert et qu'il en existe un actuellement dans l'enceinte de la prison de Schrassig. Dans ce centre, la population ne correspond pas à la réalité de ce film. En particulier, nous n'avons aucune femme (NDLR: L'héroïne du film est une immigrée russe retenue en Belgique). De plus, le centre n'est pas fait pour accueillir des criminels, ce n'est pas une prison. Ils peuvent bouger, avoir des visites, quitter leur chambre.»
Serge Kollwelter, responsable du Centre de documentation et d'animation interkulturelles (IKL, ancien CDAIC), et ancien président de l'Association de soutien aux travailleurs immigrés, rétorque aussitôt: «Effectivement, les conditions dans le centre au Luxembourg ne sont pas comparables à celles du film. Sauf qu'aujourd'hui, une personne qui est en prison a plus de facilités à voir un visiteur et à faire des activités que celle qui est en rétention.»
De plus, «si on prenait les personnes actuellement en rétention au Luxembourg - elles étaient 19 mardi dernier - et qu'on les mettait en Belgique, elles ne seraient plus que trois car après la détention, c'est l'expulsion. Au Luxembourg, elles connaissent deux peines : la détention puis la rétention, qui peut durer quatre mois. Je demanderais donc : si elles n'avaient été que trois, pourquoi créer un nouveau centre de rétention prévu pour 80 personnes?»
Rires dans la salle. François Biltgen réagit : «L'idée n'est pas de remplir ce futur centre. Personne ne le veut.» «La nature a horreur du vide», ironise Serge Kollwelter.
Nicolas Schmit, ministre de l'Immigration, à l'attention de Serge Kollwelter: «Vous faites quelques raccourcis. Parmi ces personnes au centre, il y en a 13 ou 14 qui ont purgé une peine pour des faits relativement graves : trafic de drogue, vol avec violence... De plus, il est souvent difficile de rapatrier quelqu'un qui n'a pas de papiers; il faut que les ambassades coopèrent. Dernière remarque : si on ne met personne en rétention, on soutient les mafias qui organisent les filières d'immigration.»
Marc Fischbach, médiateur du Luxembourg, fait remarquer: «Que fait-on des personnes qu'on ne peut rapatrier après la rétention? Elles n'ont plus de ressources, de statut, rien. Ne devrait-on pas leur accorder un statut de tolérance, pour éviter qu'elles ne tombent dans la criminalité?»


Difficile pour tous, même pour les policiers

Une personne dans le public témoigne: «Il est arrivé que certaines personnes se fassent tabasser dans le fourgon de police allant vers l'aéroport...»
Nicolas Schmit : «Avant, il n'y avait pas de médecin ou de personnes de la Croix-Rouge pour les accompagner. On a mis en place tout ça. J'ajouterais que c'est difficile aussi pour les policiers. Ils ne se bousculent pas pour monter dans l'avion, croyez-moi.»
Très ému, une autre personne raconte: «Je viens d'Irak. Je suis ici depuis trois mois, et je n'ai aucune nouvelle de ma famille.»
Réponse du ministre de l'Immigration: «C'est un vrai problème. Nous venons encore d'accueillir trente personnes venues d'Irak. On fait notre possible, mais nos services n'ont pas été renforcés. Je sais que pour vous, trois mois, c'est très long. Mais pour nous, c'est très court.»
Claude Frisoni met un terme au débat. «Je suis heureux qu'une œuvre de la qualité d'Illégal permette une réflexion aussi profonde. Au moins, je n'ai pas eu le sentiment qu'au Luxembourg, certaines personnes instrumentalisent cette réalité à des fins inavouables ou électorales...»

621 LE CHIFFRE
Lors du débat sur le film Illégal, François Biltgen a évoqué le problème de la surpopulation à la prison de Schrassig. «La prison est prévue pour 550 personnes maximum. Ce matin (NDLR : jeudi dernier), elle en comptait 621, dont 13 mineurs». Et d'ajouter : «Donc je n'aimerai pas que l'on nous reproche d'avoir vu trop grand pour le nouveau centre de rétention.»

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