Alors que la gauche des années '70 avait mis sur son drapeau
(scolaire) le combat pour l'égalité des chances, pour la promotion
des enfants d'ouvriers, ce discours s'est effiloché au fil des
décennies pour disparaître complètement. Il a été - peu heureusement
- remplacé par un discours, souvent confus, jamais conséquent, des
gauches et droites confondues sur les problèmes de scolarisation des
enfants étrangers. Dans les années '70 on les appelait encore
enfants immigrés, même si le changement d'environnement scolaire
n'était pas de leur fait, mais relevait de la décision des parents.
Ces enfants - là, pour autant qu'ils ont pris souche au Grand Duché,
sont devenus parents d'une 2e génération et la génération suivante
pointe elle aussi déjà le bout du nez. Les Allemands parleront de
Migrationshintergrund. Contrairement à nos pays voisins, la venue de
nouveaux migrants - avec enfants- n'a pas fléchi et le système
scolaire continue d'être interpellé par des nouveaux arrivants. Le
solde migratoire s'élevait de 5 à 7 mille par an de 2005 à 2010.
Leur scolarisation avait été abordée une première fois par le
Ministre de l'Education Fischbach avec ses 40 mesures et l'ambition
d'une approche globale.
Revenons encore à la terminologie: notre école publique a hérité
pour l'essentiel des seuls enfants de travailleurs, les enfants de
cadres et de fonctionnaires internationaux n'ont pas été obligés de
passer sous les fourches caudines de l'école luxembourgeoise,
l'intégration ne leur était pas destinée.La percée d'enfants
d'ouvriers immigrés vers le secondaire classique ne se fait qu'au
compte gouttes. En additionnant ceux qui fréquentent les écoles
internationales au Luxembourg et les écoles de l'autre côté de la
frontière, en Belgique et en France j'en viens à 10 000 enfants et
jeunes qui échappent aux bienfaits de l'école intégratice
luxembourgeoise.
Dans les années '50 à l'école primaire de Weimerskirch j'avais un
seul copain étranger sur deux douzaines d'écoliers par classe. Dans
le même quartier, il y aura de nos jours 2 ou 3 élèves
luxembourgeois sur un total d'une quinzaine.
Lorsque j'entrais en septième de l'Athénée, en l'année du traité de
Rome, sur les 52 (!) élèves de la classe je fus un des deux seuls
dont le père n'avait pas de bac en poche. Lorsque je commençais à
enseigner en 1969 au Bridel, j'avais une élève non -
luxembourgeoise. Je ne suis pas particulièrement fier de mon
impuissance....
En cette année scolaire - la, il y eut 1 535 enseignants pour 1 532
classes de l'école primaire et complémentaire, moyenne d'élève par
enseignant et par classe: 22. Au moment de rendre mon tablier
d'instituteur en 2010 on comptait 3 498 enseignants à l'école
fondamentale pour 2098 classes, ce qui équivaut à 15 élèves par
classe. Le nombre d'enseignants part time avait augmenté, faisons
néanmoins le calcul d'élèves par enseignant : nous en arrivons à 9!
Si 40 années auparavant il y eut 34 557 élèves, dont ceux du
complémentaire, aujourd'hui le seul enseignement fondamental en
compte 32 176. *
L'école primaire doit accueillir tous les élèves, l'enseignement
secondaire fait le tri dès l'âge de 12 ans et préserve le classique
pour l'essentiel des "intrus" étrangers. Je n'ignore pas que le
nombre de lycéens non - luxembourgeois a augmenté, de 7,1 % en 1973
à 18,6% en 2010, mais " reste bien inférieur aux taux d'étrangers
dans la population totale ou dans les autres ordres d'enseignement"
** Il faudrait voir de près ce qu'il en est de l'origine socio-
culturelle des bacheliers, tous passeports confondus.
Quelques questions viennent à l'esprit:
- la formation des enseignants - tant du primaire que du secondaire
- a-t-elle évolué au rythme du changement de la composition de la
population scolaire?
- combien d'enseignants de tous ordres d'enseignement ont par
exemple eu une formation pour l'apprentissage de l'allemand comme
une (véritable) langue étrangère?
- combien d'enseignants ont partagé leur parcours scolaire
secondaire avec des étrangers?
- y a-t-il au niveau de l'analyse consensus sur le fait que "le
système" scolaire n'agit pas suffisamment contre les inégalités
sociales? Ou cet argument ne vaut-il pas parce que c'est l'OCDE qui
l'a remis sur la table ?
-les nombreux élèves quittant sans certification ni diplôme l'école,
une question ne relevant que des statistiques?
-le nombre conséquent de leçons consacrées à l'enseignement des
langues, fait - il délier les langues des élèves ou écrire leurs
stylos?
- la réussite des enseignants dans le système actuel vaut - elle
comme obstacle à toute adaptation non seulement des structures, mais
encore des pratiques , alors qu'autour d'eux tout ou presque a
changé, par exemple d'autres couches sociales investissant l'EST ou
encore les habitudes nouvelles des jeunes et leur manière
décontractée de s'adonner aux nouveaux médias, etc?
-la ségrégation sociale opérée par l'orientation dans des voies
hermétiques dès 12 ans peut - elle être évoquée sans tabou et open
end en y faisant valoir aussi le souci de la cohésion sociale?
- la séparation dans ES et EST sert- elle à la survie des élites
actuelles?
- l'enjeu ne consiste-t-il pas à donner un maximum de bagage pour
vivre, travailler et participer dans une société complexe et
compliquée, à savoir davantage que maintenant?
On peut rejeter la réforme de la Ministre actuelle, ne pas avancer
d'alternative n'est pas digne de celles et de ceux qui se baladent
avec des bac + x.
serge kollwelter
* Classes, enseignants et élèves dans l'enseignement primaire 1949
- 2010, Statec
** Enseignement secondaire général , année scolaire 2009/2010, MENFP
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