mardi 14 octobre 2014

Associations d’immigrés: vecteur d’intégration ?



Association dimmigrés rime parfois avec groupes de folklore surtout portugais ou spécialités culinaires dues à des associations italiennes. Est-ce la pointe de liceberg ou bien le phénomène associatif se limite-t-il à ces spécimens avec une certaine visibilité?

Au fil des « vagues migratoires » lassociativisme a joué un rôle certain, sadaptant aux circonstances changeantes. Il est loin le temps des mutuelles regroupant des immigrés italiens devant soutenir leurs membres en cas de pépins, voir de désastre.

A larrivée dun nouveau groupe de migrants, des associations vont fleurir en son sein. Jai pu le voir, assister, participer au niveau de limmigration portugaise dans les années 70 tout comme avec larrivée des demandeurs dasile venant des Balkans au gré de leurs appartenances serbe, monténégrine, bosniaque, croate ou albanaise.

Ce foisonnement multiforme, à durée de vie plus ou moins éphémère ou durable, na malheureusement pas encore donné lieu à une étude par exemple sur lincidence des personnes liées à des associations sur leur parcours dintégration au Grand - Duché.
Le livre dAndrea Gerstnerova «Temps de crise et vie associative, Migrants de lAfrique subsaharienne et des Balkans en Europe» va -t-il combler ce vide ? Ce serait peut être trop en attendre, dautant plus quil cible les seules communautés des Balkans et dAfrique subsaharienne.

L'intérêt consiste dans le regard sur 2  groupes d'immigrés moins anciens et dont émergent d'un côté les Cap - Verdiens et de l'autre les Monténégrins pour être respectivement les plus nombreux. Les uns sont venus sous couvert de colonialisme ou postcolonialisme portugais, les autres comme demandeurs dasile bénéficiant du statut ou dune régularisation.

Les huit thèmes envisagés dans le livre sont très prometteurs, puisque la moitié est consacrée au monde du travail en temps de crise, l'autre moitié aux associations proprement dites.
89 personnes du Luxembourg ont été abordées, tant des Balkans que de lAfrique, mais aussi de la société civile: syndicats, organismes et associations comme ASTI et CLAE. Je ne sais d'où l'auteure tire le statut "d'utilité publique" que ces derniers auraient obtenu du Ministère de la Justice (page 39). Les choix des interlocuteurs ne sont malheureusement pas expliqués, pas d'informations donc non plus sur les "oubliés": serbes ou cercle des étudiants africains, par exemple.

Des associations créées  souvent dans lurgence ou pour un évènement précis et se donnant des buts et objectifs font naître des attentes. Cependant faute de moyens, elles sessoufflent souvent rapidement. Rares sont celles qui peuvent recourir à un local, à des subsides publics. Le livre fait état de 8 500 asbl au Luxembourg toutes « origines » confondues, mais fait limpasse sur le nombre denregistrées encore à jour ou déjà rayées du Registre des Sociétés. (Or les asbl qui ne publient pas composition du comité et liste des membres deviennent des associations de fait, cest à dire perdent leur  personnalité juridique). Il y aurait 80 associations de ressortissants des Balkans, souvent des asbl et quelques dizaines comprenant des Africains plutôt des associations de fait. A la page 78 il est question de 65 associations musulmanes bosniaques: lislam comme principal fédérateur dassociations donc! On nous informe aussi que les associations de subsahariens comptent en moyenne moins de 5 membres, à lexception des cap - verdiennes. Dommage que cet aspect ne soit creusé!

En 2012 il aurait eu au Luxembourg 30 000 résidents de nationalité et dorigine ex - yougoslave et 6 000 du Cap Vert (graphes pages 50 et 51). Je ne sais pas comment on en vient à ces chiffres, puisquen ajoutant  aux résidents légaux les naturalisés on narrive chaque fois qu’à la moitié!

Certes il ne sagit pas dun livre dhistoire, cependant à lorigine de limmigration yougoslave et cap verdienne il y a des accords de main doeuvre datant tous les deux de lannée 1972.  Si le premier a été signé avec le Portugal, il contenait des restrictions pour les Cap - verdiens, colonisés à l’époque encore, le deuxième na pas donné lieu aux mêmes développements, les autorités luxembourgeoises se rendant compte que tous les Yougoslaves n’étaient pas catholiques. Si les guerres en Yougoslavie ont « drainé » de nombreux migrants ou réfugiés vers le Grand Duché, on devrait cependant noter que les résidents davant guerre étaient bien réels, avaient des associations, bénéficiaient de cours de langue serbo - croate pour leurs enfants et même dune émission sur RTL. 

Pour les 2 immigrations la reconnaissance des diplômes et compétences constitue un obstacle majeur pour accéder au marché de lemploi, les Africains étant souvent  moins qualifiés  que les ex- Yougoslaves. Notons que lauteure perd parfois de vue les Balkans du Sud, notamment lAlbanie « fournisseur » de migrants et demandeurs dasile pour le Luxembourg.

Les relations des associations étudiées avec les pouvoirs publics seraient peu structurées, les appels des communes à ces associations resteraient sans réponse. Le salut viendrait- il des Commissions communales dintégration, obligatoires dans toutes les communes ? Reste à voir les effets du règlement grand-ducal du 15 novembre 2011 qui en est à lorigine!

Le livre esquisse rapidement un autre volet de lassociativisme de ressortissants de pays tiers, à savoir la promotion dactions humanitaires au pays dorigine. A la page 68 nous apprenons  que lasbl « Maison dAfrique » met en oeuvre un programme de microcrédit qui permet de réaliser différents projets individuels (ouverture de petits commerces, etc) par des migrants installés au Luxembourg et leur famille dans le pays dorigine. 

Le livre de Gerstnerova a un intérêt certain. De nombreuses questions restent cependant sans réponse. Citons en quelques-unes. Quen est - il de la collaboration entre associations, de même nationalité, dorigines différentes? Quen est - il dune collaboration entre associations lors dune manifestation emblématique comme le Festival des migrations et au-delà? Quel est lappui dont peuvent bénéficier le cas échéant les associations? Quen est-il du rôle des associations issues de larges communautés comme la portugaise? etc., etc.

Un vaste champ à explorer .

serge kollwelter


GERSTNEROVA, A
Temps de crise et vie associative
Migrants de l'Afrique subsaharienne et des Balkans en Europe
Préface de Sylvain Besch
L'Harmattan, Paris, 2013, 194 pages
ISBN : 978-2-343-02297-0

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