mardi 15 décembre 2015

Migration et développement : des liens évidents ! une cohérence évidente ?


(article dans Brennpunkt)
Comme pays d’immigration le Luxembourg profite largement de l’immigration pour son développement économique et sa stabilité démographique. Le référendum du 7 juin prouve que le déficit démocratique  ne gêne cependant nullement les autochtones.
Dans un autre champ, plus familier aux lecteurs du Brennpunkt, le Grand - Duché est champion aussi, à savoir son aide au développement par sa politique de coopération.
Se pose immédiatement la  question de la cohérence des politiques de migration et de développpement et ce bien entendu non seulement au niveau du Luxembourg, mais de toute l’Union européenne .
Si la dite « crise des réfugiés » secoue les Etats membres de l’UE et met à rude épreuve la solidarité entre eux, le moment est venu de questionner les raisons et effets des migrations. Des centaines de milliers de personnes fuyant guerre et/ou misère certes nous interpellent. Je voudrais consacrer ces quelques lignes aux causes économiques et aux absences de perspectives de larges franges de la population africaine qui les poussent à partir.
L’ampleur des flux et l’urgence d’y répondre ne peuvent cacher la nécessité de dépasser le traitement des symptômes  et aborder les causes qui amènent les migrants à risquer leur vie pour chercher un avenir meilleur ailleurs.
« Or, c’est l’Europe - et les Etats-Unis – qui ne cesse d’imposer depuis des décennies, notamment aux pays africains, une politique qui privilégie catégoriquement l’économie du Nord et les multinationales au détriment du bien-être des populations. Cette politique a eu et continue à avoir un impact désastreux sur le niveau de vie des populations dans les pays dits en développement, sur les économies de ces pays, sur leur environnement et sur les ressources de leurs gouvernements. Elle fut introduite, dès les années 80 et 90, par les programmes d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI. Elle est poursuivie aujourd’hui également par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et l’UE.

Ainsi, l’UE continue d’exporter des produits alimentaires à des prix dumping qui détruisent sans cesse de nouveaux secteurs de leurs agricultures, des emplois et des sources de revenus. Une des conséquences de cette politique est un exode rural toujours plus massif.
Pire, loin de reconnaître le caractère contraire à tout développement de telles pratiques et de telles politiques, l’UE s’applique maintenant à les aggraver par le biais de nouveaux accords de libre-échange et notamment les « accords de partenariat économique » (APE).

Ces mouvements migratoires sont, par ailleurs, renforcés par d’autres facteurs, qui sont en partie également le résultat des politiques élaborées par les pays développés comme les changements climatiques, la gouvernance défaillante de nombre d’Etats du Sud, l’action souvent néfaste des multinationales et des marchés financiers, l’exploitation massive des terres et ressources premières ou l’absence de justice fiscale. A cela s'ajoute malheureusement la gouvernance défaillante de nombre d’Etats du Sud. »






Ces derniers mois les lignes ont bougé – un peu !

- Il est question (enfin) d’ouverture de voies d’immigration légales et sûres;
- 160 000 réfugiés seraient répartis sur les Etats membres plutôt que de rester à charge des seuls pays en première ligne, à savoir essentiellement l’Italie et la Grèce.
– Un dialogue s’est instauré avec les gouvernements africains, même sir l’UE veut s’assurer en premier lieu que ces pays réadmettent leurs nationaux auxquels l’asile a été refusé en Europe en contrepartie. Nous y reviendrons ci-dessous.  

Le Cercle de Coopération estime qu’ « en application de l’article 208 du Traité de Lisbonne sur la cohérence des politiques, la Présidence luxembourgeoise et la Commission européenne devra s’engager en faveur d’une autre politique commerciale, agricole et de développement de l’UE qui devra

o   favoriser dans les pays en développement, notamment africains, la mise en place de capacités de production dans tous les secteurs économiques et surtout l’agriculture et l’industrie, de manière à créer un maximum d’emplois et des revenus décents pour la population ;

o   redéfinir d’urgence la politique de coopération, de commerce et d’agriculture de l’UE en tenant compte des écarts de développement et de productivité et baser les relations commerciales de l’UE avec ces pays sur le principe de non réciprocité et sur une régulation adéquate des marchés ;

o   suspendre la ratification des APE et procéder à une étude d’impact d’un tel accord sur le développement et les droits humains, conçue et réalisée avec tous les acteurs concernés ;

o   réserver, dans la politique de coopération au développement, une priorité plus importante aux populations les plus démunies et donc à l’agriculture et aux exploitations familiales compte tenu du fait que 70% des personnes qui souffrent de la faim exercent une activité agricole. 

Pour créer un cadre juridique  international les Etats membres de l’UE devront ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (Convention 45/158) ainsi que la Convention de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur les migrations dans des conditions abusives et la promotion de l’égalité des chances et de traitement des travailleurs migrants (Convention C 143). Cette convention n’est signée à ce jour que par les seuls pays d’origine des migrants !



La Valetta, une occasion ratée !

Les 11 et 12 novembre derniers  les gouvernements de l’UE et de l ?Union Africaine se sont réunis dans la capitale de Malte, l’initiative promue par l’UE se situant dans le contexte des flux de réfugiés. Belle occasion d’aborder les causes et racines des migrations, notamment africaines. Belle occasion ratée ! Sous l’effet de la guerre en Syrie, ce furent les réadmissions et retours des demandeurs d’asile et des mesures d’empêchement de partir que l’UE a « acheté » aux Africains pour le prix de 1,9 billions d’euros, somme non encore réunie, loin  de là !
La Déclaration de la Valetta et le Plan d’action regorgent d’une terminologie généreuse et vague reprenant des décisions et souhaits déjà pris auparavant et ailleurs. Prenons à titre d’exemple l’engagement de réduire d’ici 2030 les frais de transfert d’économies des migrants à moins de 3% . Comme le montre le 2e baromètre Fair politics du Cercle de Coopération ces transferts des remittances est un marché juteux. (voir encadré) .
L’aide d’experts gouvernementaux africains pour identifier des demandeurs d’asile en vue de les retourner permet à ces conseillers de dictateurs d’influencer les décisions de renvoi d’un tel dans les geôles de son pays d’origine pour raisons politiques.
En matière de canaux légaux de migration seul un doublement des bourses Erasme y répond.

La Valetta et la société civile…….
Le sommet de la Valetta, comme l’UE qualifie cette conférence, eut été une belle occasion pour les sociétés civiles européenne et africaine de se manifester, de préférence d’une seule voix. A l’arrivée, respectivement quelques jours avant, une pluie de communiqués s’est abattue sur Bruxelles, à savoir plus précisément sur les institutions de l’UE.
Dès juillet il avait été question que la Plateforme Concord - dont fait partie le Cercle de Coopération - se mobilise avec deux défis : non seulement réunir Nordistes et Sudistes sur un texte commun, mais encore et surtout agir, coté nord, auprès des 28 gouvernements, des 28 parlements et des 28 opinions publiques puisque c’étaient les gouvernements réunis en Conseil européen  qui étaient en cause, ne s’agissant pas d’une démarche de la Commission européenne, le Parlement européen étant tenu à distance lui aussi. Or les réseaux et plate formes européennes, non seulement Concord- ont l’habitude de s’adresser à leurs voisins bruxellois que sont la Commission et le Parlement européens. Du côté luxembourgeois nous avions proposé nos relations pour des contacts avec la présidence luxembourgeoise du Conseil. Sans écho.

….. une autre occasion ratée.

Plutôt que de s’atteler à une large coalition, Concord a sorti son propre communiqué à quelques encablures du sommet, texte strictement européen. La Plate forme des droits de l’Homme faisait partie du concert peu harmonieux des communiqués – mais y avait réuni européens et africains. Seul communiqué d’ailleurs parvenu à la presse luxembourgeoise.
A vrai dire la multitude des communiqués – en quelque sorte un devoir des réseaux européens  pour prouver leur existence face à la Commission, leur financeur – n’ont pas le moindre effet. Comme ils sont transmis par courrier électronique ils ont au moins le mérite de contribuer à la préservation des arbres !

Au sein du Cercle de Coopération s’est créé depuis quelques mois un groupe de Travail « Migration&Développement » dont sont tirées les citations de la présente contribution.
Le groupe de travail est ouvert à d’autres collaborateurs.

Serge Kollwelter,
Animateur du groupe M&D du Cercle de coopération.
La présente contribution est d’ordre personnel et n’engage ni le Cercle ni son groupe de travail M&D

Les conclusions du sommet et le plan d’action



Encadré
Les remittances, c‘est à dire le transfert d‘économies des émigrés vers leurs familles restées dans leur pays d’origine sont une source de revenu très importante pour de nombreux  pays en développement. Pour l’année 2013, la Banque Mondiale a évalué le montant des remittances à 414 milliards de dollars, ce qui représente trois fois le montant d’aide publique au développement au niveau mondial. Pour un pays comme le Sénégal, cela représente plus de 11% de son produit intérieur brut et pour le Cap Vert, autre pays partenaire de la coopération luxembourgeoise, plus de 9%. Cet argent contribue directement au développement des pays du Sud, car il permet aux familles de scolariser leurs enfants, de couvrir des frais de santé ou de démarrer des activités génératrices de revenus.
Actuellement ces transferts sont dominés par un nombre réduit de quelques grands opérateurs d’envoi de fonds qui n’hésitent pas à prélever des commissions très élevées. Cela est particulièrement vrai pour l’Afrique, où deux grands opérateurs, Western Union et MoneyGram, se partagent une grande partie du marché. Si en moyenne au niveau mondial l’envoi d’argent entraîne 7,8% de frais, ce taux atteint 12,8% en moyenne pour l’Afrique.
Une récente étude du Oversee Development Institute estime que l’Afrique perd de cette manière entre 1,4 et 2,4 milliards de dollars par an, alors que Western Union et MoneyGram  déclarent des profits impressionnants. Notons, à titre de comparaison, que 1,8 milliards de dollars suffiraient pour scolariser 14 millions d’enfants.
L’entreprise des postes luxembourgeoise, dont l‘actionnaire unique est l‘Etat luxembourgeois, travaillait longtemps en partenariat avec Western Union et encourageait ainsi la diaspora au Luxembourg à recourir aux services de cette entreprise. Par ce fait, le gouvernement était coresponsable d’un manque à gagner important pour les pays du Sud.
La Poste a mis fin à son partenariat avec Western Union.


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