mardi 1 avril 2008

...fonctionnement

La machine à expulser fonctionne, à vrai dire assez bien et de façon conséquente.

Qu'il n'y ait pas de confusion: je puis admettre qu'un Etat prenne des mesures pour se séparer d'étrangers qu'il considère indésirables, j'allais dire: se débarrasser (mais ne faudrait-il pas pouvoir se détacher de ses sentiments ... ah que ce serait bien!) se séparer donc, dans le cadre des règles de l'Etat de droit évidemment et pourquoi pas - rêvons un instant - avec une dose d'humanisme.
Récemment un premier grand couac s'était produit avec l'expulsion d'un biélorusse avec l'aide de l'organisation humanitaire appelée Air Rescue en automne 2006. Que faut-il penser lorsqu'après cette "performance" un responsable politique me dit qu'il se demande pourquoi celui-là avait été expulsé, comme si la responsabilité politique revenait à un tiers! C'était une première illustration du fait que une fois décidé qu'il fallait expulser, cette expulsion devait se faire coûte que coûte, quels que soient les coûts, tant qu'ils ne sont que financiers et non politiques.
Que des Nigérians seraient par la suite du voyage ne faisait plus de doute, une fois un memorandum of understanding trouvé avec le gouvernement du Nigeria. Notons au passage qu'un des négociateurs de cet memorandum avait dit au soussigné que cela allait revenir cher au Luxembourg. Un seul journaliste a creusé cette question, en évoquant des centaines de millions de dollars appartenant (?) à l'ancien dictateur du Nigera et bloqués dans une banque au Luxembourg.
Comment mieux frapper fort et donner un signal univoque qu'en choisissant 2 Nigériens déboutés du droit d'asile, mais particulièrement bien intégrés en les mettant dans un charter ensemble avec un condamné nigérien? Je dois avouer que c'est quelque peu paradoxal de téléphoner avec Tope, un des expulsés, qui se cache à Lomé et lui parler en luxembourgeois et ce au moment même où l'on discute au chez nous des exigences linguistiques à appliquer aux candidats à la nationalité .
Les autorités ont voulu semer la confusion et la panique, faire oublier le suicide d'un demandeur d'asile dans un foyer en janvier de cette année. Vous pouvez imaginer comment la peur rode dans les foyers et autres demeures de demandeurs d'asile. Le fait que des dizaines et des dizaines osent néanmoins relever la tête et dire haut et fort que leurs efforts d'intégration dans la société luxembourgeoise ne peuvent simplement être balayés par le simple fait que, oui, le droit d'asile leur a été refusé et que ce refus a été confirmé par les deux instances juridiques administratives. Ce discours sonne "familier" aux oreilles qui l'avaient entendu dans une autre bouche ministérielle, version serbo-croate. C'est un fait qu'après la régularisation ratée de 2001, de la responsabilité des ministres CSV, le même parti s'est opposé à une quelconque nouvelle régularisation, alors que la mise en place d'une nouvelle loi d'asile en 2006 eut été l'occasion d mettre les compteurs à zéro. Le terme même de régularisation est devenu un mot tabou. Heureusement le bon sens n'a pas disparu dans le chef des Ministres socialistes et des ASP (Autorisations de Séjour Provisoire), des statuts humanitaires et autres autorisations ont été accordées au fil de la présente législature. On en vient toutes catégories confondues à un total de quelques six cents. Dont acte .
La série des expulsions - phare continue avec Diallo. Faisons bref. Diallo vit légalement en Italie pendant 5 ans. En 2005 il vient sur Luxembourg et est mêlé à un trafic de drogue. D'aucuns disent qu'il est l'homme de paille de la bande. Peu importe, le 19 décembre 2007 il est condamné à deux ans de prison. A cette date il a déjà purgé 2 ans et 3 semaines de préventive. Il passe aussitôt en rétention, c'est à dire qu'il passe de l'autorité du Ministère de la Justice à celle du Ministère de l'Immigration. Celui-ci prépare son expulsion. J'allais oublier que le tribunal correctionnel avait ordonnée de lui restituer tous ses documents, y compris les documents italiens. J'allais oublier aussi que Diallo s'était résigné à partir et l'a confirmé lors des nombreux contacts qu'avaient eu les visiteurs de prison et l'aumônier. A aucun moment un fonctionnaire du Ministère de l'Immigration ne l'a vu ni, parlé avec lui.
Le dimanche 9 mars, Diallo prend l'avion de ligne pour Paris, escorté de deux policiers luxembourgeois. A Roissy, ceux-ci lui remettent son passeport guinéen, Diallo s'enquiert de ses documents italiens, les policiers n'en savent rien et surtout ne les ont pas avec eux. Dans la salle d'embarcation Diallo s'oppose aux 5 policiers dont 3 français, exigeant ses papiers italiens. D'autres voyageurs s'en mêlent, le capitaine de la machine d'Air France pour Conakry refuse de l'embarquer. Diallo revient à Schrassig. Le surlendemain 11 mars, lors de l'entrevue de ACAT et ASTI sur les déboutés du droit d'asile ("We shall not be moved") avec le Ministre Nicolas Schmit, celui-ci promet de demander à son collègue de la Justice d'ordonner une enquête par l'Inspection Générale de la Police. Plusieurs des participants à l'entrevue avaient vu Diallo le matin même au Centre de Rétention le corps roué de coups, ayant e.a. dans la figure les traces de la botte d'un policier. Ces mêmes traces étaient encore clairement visibles le jeudi 13 mars. Le Ministre promet aussi de faire faire un examen médical à Diallo.
La machine à expulser continue comme si de rien n'était.
On (?) avait décidé de le faire partir, il fallait donc qu'il parte coûte que coûte. Peu importe qu'une enquête soit en route. Nouveau départ prévu pour le jeudi 27 mars, cette fois -ci par charter de LUXAVIA au prix de 51 000 euros, la meilleure offre comme le soulignait la déléguée du gouvernement au tribunal administratif la veille. Attardons - nous un instant sur cette séance du tribunal administratif. La défense de Diallo essaie de faire valoir que retenu encore ce 26 mars, le délai maximum de 3 mois de rétention est dépassé, qu'il serait donc retenu illicitement. Le tribunal estime que sa "sortie" sur Paris a terminé une première période de rétention et qu'avec son retour à Schrassig une nouvelle a démarré. La déléguée du gouvernement voulait encore faire preuve d'une dose d'humour en disant que peut - être les bleus étaient moins visibles sur un noir. Ultime tentative juridique sans résultat, si ce n'est que sur place il y a dénouement de la retenue des documents italiens. L'avocat est autorisé à les récupérer l'après-midi au Ministère de l'Immigration et les lui amène au Centre de Rétention. Selon les autorités italiennes ces documents ont perdu leur validité, une fois le détenteur sorti de la péninsule. Diallo compte dessus pour les revalider une fois retourné - via Conakry - en Italie. Lors d'une interruption de séance au tribunal, le Ministère de l'Immigration amène un certificat médical établi le jour même (!) de la teneur suivante : "J'ai vu Diallo à son retour au CPL le 10 mars 2008, il n'a pas montré de signes de violence et ne s'est pas plaint au cours de cet examen."
Départ prévu du charter pour le jeudi donc. Quelle ne fut notre surprise de trouver Diallo sur la liste des retenus ce jour - là à Schrassig et de le voir sortir vers 11 heures d'un interrogatoire fait sur place par deux agents de l'Inspection Générale de la Police!
Pas de départ donc jeudi.
Pas de nouvelles jusqu'au lundi 31 mars. Diallo m'appelle sur mon portable depuis Conakry: il est parti en charter le vendredi 28 avec 3 policiers et 2 personnes de la Croix Rouge, il va bien et nous salue toutes et tous!
Après être passé du chaud au froid, autant le savoir au chaud auprès des siens.
Il va sans dire que des questions demeurent.
Quid de cette enquête au tout dernier moment, celui qui décidait du départ du charter pour le vendredi avait-il pu prendre connaissance du rapport de l'IGP?
Que penser du certificat médical apparu au bon moment?
Que valent les témoignages des 4 visiteurs qui ont vu (le même?) Diallo dans un tout autre état que l'expert médical?
Comment s'expliquer l'absence du Ministère de l'Immigration dans le Centre de Rétention, dont il est le responsable: simple question de défaut de moyens, alors que des moyens importants ont pu être mobilisés d'un moment à l'autre pour le charter?
Pourquoi pas d'accompagnement par la Croix Rouge sur des vols normaux, revient - il aux passagers d'être les observateurs attitrés?
Aujourd'hui, le retour de Diallo faisait évidemment partie des conversations au Centre de Rétention. Un Africain me disait: "Donnez - mois 1 000 euros pour un vol régulier, avec les autres 50 000 euros je construirai un élevage de poulets et je donnerai du travail à la moitié du village pour des années...."
s.k. 1 avril 2008

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