Bonjour - Moien au risque de vous ennuyer avec mes remarques et autres contributions sur ceci et sur cela, allons-y, plongeons dans cette réalité grand ducale ( i.e. Grand-Duché de Luxembourg), partageons et discutons- en ! Serge
mardi 7 juillet 2009
Pour la dimension politique de l’action sociale
Entretien avec Serge Kollwelter (ASTI) à l’occasion d’un anniversaire et d’un prix
Forum - juillet 2009
Bonjour Serge, nous te félicitons pour les 30 ans de l’ASTI et pour le prix Lions. Que signifie ce prix pour toi ?
Serge Kollwelter: Il s’agit évidemment d’une reconnaissance à toute une équipe, une reconnaissance que je partage avec ma famille à laquelle j’ai volé d’innombrables heures... 30 ans c’est une étape, d’autres y ajouteront d’autres étapes. En fait, j’ai eu la drôle de sensation que j’allais me trouver sur le devant de la scène, alors que j’avais l’habitude de mettre en avant nos objectifs, nos luttes. Mais comme j’avais l’occasion de faire un discours, j’ai pu y placer ces objectifs au centre...
Qu’est-ce qui a mené à la création de l’ASTI en 1979?
S.K.: Il faut situer les premiers balbutiements un peu plus tôt, en 1972, avec la création de l’União. Faute d’une histoire écrite, je fais appel à des souvenirs personnels : mon engagement dans la Jugendpor, dans forum, mon travail d’instituteur dans les classes d’accueil, la découverte des taudis à Eich, Weimerskirch et Grund où furent parqués les immigrés portugais, voilà le faisceau de situations qui a amené des jeunes de Weimerskirch à créer l’União. L’idée de l’ASTI a été de réunir des immigrés d’origines diverses et des Luxembourgeois pour lutter pour des droits égaux, notamment le droit de vote. En été 1979, la firme Dostert de Mensdorf faisait travailler une cinquantaine de menuisiers portugais – sans papiers. Les conni-vences de certaines autorités dans ce scandale ont, en quelque sorte, parrainé la naissance de l’ASTI.
Quelles ont été les étapes essentielles dans l’histoire de l’ASTI ?
S.K.: La popularisation du droit de vote par les Festivals de l’Immigration fut sans doute une des premières irruptions de l’immigration dans la sphère publique. Puis ce fut la mise en place par l’ASTI d’une plateforme associative qui a pris son envol et assume depuis longtemps seule le Festival de l’Immigration. La manne publique a réussi à développer cette manifestation jusqu’à presque lui enlever le moindre caractère politique. Je me rappelle à ce sujet la remarque d’un politicien lors du 2e Festival en 1982 sur la Place Guillaume : « Quelle belle fête, dommage qu’il y ait ce caractère politique. » Je lui ai répondu que, sans le politique, il n’y aurait pas cette fête. La personne en question a quitté ce bas monde et a obtenu satisfaction.
Il y a eu une autre étape significative, à savoir l’accès des étrangers aux chambres professionnelles. Depuis toujours, les étrangers devaient y cotiser, mais en étaient exclus comme électeurs ou élus. Cette situation intenable était connue de tous, politiques et syndicalistes. Les uns et les autres sont restés inactifs. Il a fallu le refus de l’ASTI de payer les cotisations de ses trois salariés et une procédure juridique jusqu’à la Cour de justice des Communautés européennes pour obliger le gouvernement à changer la législation. Une attitude semblable se vérifiera au niveau du traité de Maastricht ou de la double nationalité ; en transposant un principe, on prend soin de lui donner le moins de contenu possible. Après 29 ans de revendication pour un congé linguistique, celui-ci a vu le jour en avril 2009, mais ne vaut que pour 120 heures et pour la seule langue luxembourgeoise, alors qu’au même moment, en Allemagne, les 600 heures accordées pour l’allemand sont considérées comme insuffisantes et que l’on envisage de les porter à 900 !
L’éducation précoce à Eich avant que le ministère ne s’en saisisse, un accompagnement scolaire avec responsabilisation des parents et des enfants par des contrats individualisés avec les éducateurs, ne sont que quelques éléments du lien entre le travail de terrain et la réflexion, la proposition et la revendication. L’ASTI a résisté à toutes les tentatives et invitations à devenir un prestataire de services à travers le pays, mais se concentre sur un travail de type projet pilote avec le souci de partager ses expériences avec d’autres. Il est essentiel d’analyser la dimension politique de toute action sociale.
Comment les objectifs et les destinataires de votre travail ont-ils changé ?
S.K.: Si, en 1979, la « question portugaise » était à l’ordre du jour, l’ASTI a essayé de faire depuis lors un bout de chemin avec les ressortissants de pays tiers, les demandeurs d’asile, les filles au-pair auprès d’une certaine Commissaire (non pas de police, bien sûr), les Africains, les sans papiers. Si, au début, la défense des intérêts et des droits des immigrés était au centre de nos préoccupations, il y a eu un glissement vers le vivre ensemble englobant autochtones et allochtones. Travailler en réseau n’est pas facile dans le microcosme grand-ducal et, avec les susceptibilités des uns et des autres (dont celle de l’ASTI), des pas ont cependant été faits, d’autres restent à faire. L’influence des initiatives de l’Union européenne augmente. Il faudra se positionner davantage. Une approche globale est indispensable, nous avons encore pu le constater lors du sommet alternatif à Montreuil en octobre 2008 : 1000 délégués (non inféodés à des structures top down à la solde de l’UE) d’Afrique et d’Europe s’y sont réunis sous le slogan « Des ponts, pas des murs ». Malheureusement, les impératifs immédiats et les urgences humanitaires accaparent trop souvent forces et nous « dévient » d’une vue d’ensemble, dont les relations Nord-Sud sont une composante essentielle.
Quelles ont été les défaites sur ce chemin ?
S.K.: La grande nouveauté fut sans doute l’attitude frileuse à l’égard des étrangers comme levier électoral en 2003/2004, et je ne pense pas à l’ADR, mais au succès électoral foudroyant du ministre de la Justice : se profiler aux dépens des plus faibles... était-ce une valeur « C » responsable? Les expulsions, notamment vers le Monténégro, furent un coup dur pour les concernés et leurs connaissances, mais tout autant l’échec d’une politique. Personnellement, je n’oublierai pas de sitôt le voyage au Monténégro, en février 2003, à la rencontre des quatre familles expulsées la veille du crash d’un avion de Luxair en novembre 2002. Avec un mètre de neige et à moins 15 degrés, nous découvrîmes la m... dans laquelle « notre » gouvernement avait jeté ces familles. Oh, certes, on ne va pas faire la comparaison des misères du monde, sauf que celle-ci avait un auteur démocratiquement légitimé, mais au coeur glacé... N’empêche que les aspects positifs prévalent et ce, en premier lieu parce que nous avons pu aider des personnes, leur permettre de vivre simplement et dignement au Luxembourg...
Ta candidature pour la présidence du Centre pour l’égalité de traitement, une autre défaite ?
S.K.: Notons que j’avais proposé une équipe composée de trois femmes, dont une portugaise, et de deux hommes. J’ai (re-)fait le constat que l’indépendance se mesure à l’aune de l’appartenance à un parti politique. Dès lors, nos chances étaient nulles. Pour la petite histoire, le 9 octobre 2007, jour de la rentrée parlementaire, j’étais avec les copains devant la Chambre pour rappeler les défis législatifs en matière d’immigration, d’intégration et de nationalité. Le Premier ministre, serrant la main à nous tous, de me dire : « Alors tu feras partie maintenant de l’establishment. » Une heure plus tard, seuls le LSAP, les Verts et MM Goerens et Meisch avaient osé... vouloir concrétiser un volet d’indépendance. D’autres de me reprocher la manif devant la Chambre le jour du vote !
Quelle est aujourd’hui ta relation avec le CLAE ?
S.K.: Avec d’autres, j’en étais à l’origine. Au-jourd’hui, je suis, au sein de l’équipe dirigeante de l’ASTI, un des rares sinon le seul à en souligner l’importance. Au lieu d’animer les associations membres, de cheminer et d’avancer avec elles, cette plateforme associative s’est substituée à ses composantes et on a parfois la sensation qu’elle souhaite plaire au gouvernement en investissant – avec qualité – le domaine culturel plus agréable aux pourvoyeurs de l’argent du contribuable que l’action revendicative et politique.
De quelle façon la relation entre Luxembourgeois et non-Luxembourgeois a-t-elle changé au fil des décennies tant sur le plan juridique qu’humain ?
S.K.: Les choses ont évidemment changé, mais à quel rythme ! Lors de la régularisation des sans papiers en 2001, le ministre Biltgen promit de réformer la loi sur l’immigration datant de 1972. Il a fallu encore 7 ans et un autre gouvernement pour y arriver. Sous les auspices d’une économie florissante, le laissez-faire a permis un côte à côte pacifique, des marchés de travail segmentés, une école qui peine à s’adapter à une population scolaire de plus en plus hétérogène. La crispation identitaire revenue à l’ordre du jour, ADR et Roude Léif s’en partageant le mérite, est particulièrement malvenue en temps de crise. Un certain malaise par rapport au nombre croissant de non-Luxembourgeois et de frontaliers doit être pris au sérieux. Des réactions de jeunes, des groupes sur facebook et autres sites « patriotiques » se défoulent déjà – et comment ! – sur le dos des frontaliers. Pourrons-nous continuer à les considérer comme les immigrés des années ’30 du siècle passé ? Au moment de la crise économique, leur licenciement signifiait retour au pays. Cette fois-ci, c’est un retour à 20 ou 40 kilomètres d’ici. Pourra-t-on, en cas de relance, faire comme si de rien n’était et les réembaucher ? Qu’en est-il de la Grande Région, du sentiment d’y appartenir ? A l’ordre du jour seulement en période « ensoleillée » ? Restons optimistes et forgeons cet optimisme : mettons en route 116 jumelages entre communes luxembourgeoises avec autant de communes allemandes, françaises et belges de la Grande Région, comprenant chacun des échanges scolaires entre écoles primaires/fondamentales, sans oublier le potentiel des 30 lycées du Luxembourg organisant des séjours linguistiques croisés avec autant de lycées de la Grande Région !
D’après toi, quelles sont, 30 ans plus tard, les relations entre les organisations de la société civile, liées à l’Etat par des conventions pour couvrir les frais de certains projets, et la politique (ministères, administrations et partis politiques) ?
S.K.: Pour l’ASTI, les choses sont claires. Les activités de terrain, disons d’utilité publique, avec les enfants, jeunes et parents de toutes nationalités dans les quartiers nord de la capitale, les animations dans les écoles, le service de traduction, etc. sont conventionnés avec un ministère. L’ASTI rend compte au centime près de l’utilisation de ces deniers publics. Le travail de réflexion, de débat, de proposition et de revendication se fait sans le moindre centime du contribuable, mais grâce aux cotisations et dons de ses membres et sympathisants venant de (presque) tous les horizons politiques et idéologiques. L’ASTI choisit ses projets, essaie de trouver un financement – y compris public. L’ASTI a été tenue à l’écart de la campagne de 200000 euros du début de cette année pour l’inscription sur les listes électorales. Cela ne nous a pas empêché de faire des actions politiques sur la dimension européenne tout en évitant de devoir assumer l’utilisation des deniers publics pour éditer des sous-verre (Béierdeckelen). L’ASTI n’est pas un « player » et opérateur généraliste du social et n’a donc pas à mettre (trop ?) d’eau dans le vin du vivre ensemble pour sauvegarder des intérêts stratégiques dans d’autres domaines. Il faut évoquer ici le décalage entre les propos et convictions affichés de ministres avec certains agissements de leurs fonctionnaires. J’aurai un jour le temps de devenir explicite là-dessus... On peut lire les attentes de l’ASTI à ce sujet dans le Kulturissimo de juin 2009.
Pourquoi l’ASTI n’a-t-elle pas réussi à faire un changement de génération ? Es-tu irremplaçable ?
S.K.: Tu aurais mieux fait de voir de près la composition du conseil d’administration de l’ASTI pour en constater l’échantillon des âges. J’ai voulu passer le relais il y a 8 ans. Monsieur Frieden m’a fait jouer les prolongations. Il y aura bientôt une nouvelle personne, avec son propre style. Je rentrerai dans le rang et je ferai bénéficier les successeurs de mon expérience, s’ils le souhaitent. Pour l’instant, les nouveaux défis et les nouveaux projets me mobilisent à 100%.
N’as-tu jamais eu envie de faire autre chose dans la vie ?
S.K.: J’ai mon jardin secret, ma famille. Je suis instituteur et mon projet de départ était simplement d’enseigner. Je suis tombé tard dans le militantisme, raison peut être pour laquelle cela dure encore. A noter que, professionnellement, je suis le responsable du Centre de documentation et d’animation interculturelles pour promouvoir et réaliser des projets interculturels dans les écoles. Mon engagement à l’ASTI s’y rajoute.
Qu’est-ce qui t’anime aujourd’hui ?
S.K.: Avec un peu de vanité, je dirai que je veux encore mettre mes connaissances au service des autres, y compris dans la nouvelle Ligue des droits de l’Homme, recréée à l’initiative de l’ASTI. Beaucoup reste à faire pour donner corps au mouvement associatif, que ce soit au niveau de l’environnement, des relations Nord-Sud ou dans le domaine du vivre ensemble, pour véhiculer les défis et questions à moyen et à long terme. Par ailleurs, je suis vacciné contre le virus de la politique politicienne et de l’ambition politique trop présente dans le microcosme grand-ducal au point de ne plus guère laisser de place à des projets de société, des projections d’avenir.
Serge, merci beaucoup d’avoir répondu à nos questions.
(21.6.2009/LH)
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