lundi 5 avril 2021

Intégration: lois, voies et gouvernance.

 

 

Deux éléments récents en matière dintégration mont interpellé.

 

D’une part la mise au point dun vaccin contre le COVID 19 de la firme allemande BIOTECH par Ugur Sahin. Linstituteur allemand  de ce chercheur dorigine turc, élevé et scolarisé en Allemagne, avait prévu pour lui ce qui correspond au Luxembourg à lenseignement modulaire (Hauptschule).  Bien entendu cela narriverait pas chez nous: si les cas semblables que je connais ne permettent certes pas d’établir une règle, il s’avère que les non luxembourgeois atterrissent très souvent dans pareille filière. Dans le cas de Sahin des voisins de la famille l’ont poussé vers un lycée et vive le vaccin!

 

PISA 2018 nous apprend que nulle part ailleurs dans lOCDE le lien entre statut socio-économique et performances scolaires nest aussi prononcé. «The link between socio-economic status and performance in PISA is stronger in Luxembourg than in any other PISA-participating country. Advantaged students in Luxembourg outperformed disadvantaged students in reading by 122 score points in PISA 2018 – a difference 33 points larger than the OECD average difference of 89 score points. »

 

L’école et le logement constituent les principaux défis en matière dintégration des différentes couches sociales, les origines nationales ne nous renseignant guère, puisquil y va aussi bien dexpats et de cadres internationaux que des nombreux travailleurs et travailleuses au salaire social minimum et de près dun cinquième de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté.

 

Deuxième élément lié à lactualité: un volumineux sondage récent nous a appris ce que pense un échantillon de 1039 résidents de tout un éventail de sujets. 1039 résidents luxembourgeois à partir de 18 ans ayant le droit de vote pour les élections législatives, précise le site de ILReS. Lavis de lautre moitié de la population ne valait pas la peine, en tout cas il n’intéressait pas nos deux principaux médias qui avaient commandé le sondage.

 

Et hop, nous voilà en plein dans les dégâts du référendum de 2015.

 

Lidée généreuse de soumettre aux Luxembourgeois la proposition du droit de vote des résidents me fait penser à la naissance dun bébé. Dans ce cas, les parents politiques tout fiers, labandonnent immédiatement après laccouchement. Manifestement ils ne se sentent plus responsables de son devenir, ni des dérives et tabous qui en découlent.

Quelques éléments de mauvaise conscience subsistent .

C’est ainsi que laccord de coalition du gouvernement actuel affirme dès son préambule que « Lintégration et linclusion socio-culturelle seront au cœur de laction gouvernementale». On cherchera longtemps dans les 235 pages pour en trouver une seule (!) consacrée à lintégration. Cela donne à penser que le cœur ny est pas ou alors quon na pas didées. Il y a certes le catalogue des bonnes intentions du Plan d’Action National Intégration adopté le 13 juillet 2018 et pour lequel un appel à projets a été lancé récemment, ce dont il faut se féliciter.

Où en est le plan en question après deux ans ? Le Ministère de la Famille pourrait sinspirer du KEP qui joue la transparence : sur internet on peut suivre ce quil en est de la mise en oeuvre des différents points du KEP.

 

Quand on parle de transparence, autant aborder la gouvernance de la politique dintégration. Pas moins de treize Ministères font partie du comité interministériel, mais aucune trace des travaux de cet organe! Le programme gouvernemental stipule à la page 53 que le Comité interministériel à lintégration procédera à lorganisation de réunions communes avec la société civile. Apparemment, après 2 ans, une première réunion de ce type est prévue sous peu: tant mieux! Reste à savoir si, comme pour le comité interministériel de la coopération, les compte rendus seront publiés.

 

Et si les organisations de la société civile se concertaient elles aussi plutôt que de se positionner plus ou moins docilement pour conventions et subsides ! Une plate-forme dédiée pourrait faire laffaire!

 

Toujours en matière de transparence: la consultation lancée par le Ministère de lIntégration pour «repenser et redessiner la politique dintégration au Luxembourg» est de bonne augure. Souhaitons que les nombreuses contributions sollicitées seront publiées pour être utiles de cette façon, non seulement au Ministère, mais aussi au débat public et aux parlementaires appelés à faire un débat dorientation à la Chambre des Députés début 2021.

 

La situation alarmante du logement est connue, et ce depuis longtemps. Tout ou presque a été dit : un fossé gigantesque sépare les paroles et les actes. Un détail est passé quasi inaperçu tout en ayant une incidence directe sur l’intégration, à savoir la transformation des foyers de travailleurs en foyers pour demandeurs dasile: en déshabillant Joao pour habiller Adbulah on a éliminé les foyers pour travailleurs et laissé ce marché aux chambres de café.

La situation dramatique d’une famille évoquée il y a quelques jours dans la presse  est une autre illustration de la pénurie de logement qui frappe les familles à bas revenu, familles étrangères et luxembourgeoises.

 

Dans notre Grand Duché les inégalités se creusent. Le dernier rapport du Statec «Travail et cohésion sociale» note que le coefficient Gini sest encore détérioré en période de confinement. Ne nous disputons pas  pour savoir si le seuil de pauvreté comprend 15 ou 20 % de la population. Trop cest trop !

 

Avant de conclure, je voudrais me référer à Walter Benn Michaels et son petit livret  « La diversité contre l’égalité » paru chez Raisons dagir. « Il est évident que la diversité ne réduit pas les inégalités économiques. Si vous prenez les 10% de gens les plus riches (ceux qui ont en fait tiré le plus de bénéfices de lexplosion néolibérale des inégalités) et que vous vous assurez quune proportion correcte dentre eux sont noirs, musulmans, femmes ou gays, vous navez pas généré plus d’égalité sociale. Vous avez juste créé une société dans laquelle ceux qui tirent avantage des inégalités ne sont pas tous de la même couleur ou du même sexe. »

 

On ne peut sempêcher de penser que les moyens pour promouvoir la diversité au Luxembourg permettent aussi et surtout d'escamoter le débat sur le creusement des inégalités économiques.

 

Mesurer la politique dintégration dans les textes de loi, cest le rôle des chercheurs. L’index MIPEX a noté une légère amélioration du score du Luxembourg, due notamment à l’assouplissement de la naturalisation et à l’introduction de la nationalité comme critère de discrimination. Lintégration est, daprès la loi du 16 décembre 2008, une tâche que l'Etat, les communes et la société civile accomplissent en commun. Si les lois ont une incidence certaine, les politiques ayant une implication sur le terrain sont essentielles. Une démarche commune des différents acteurs a besoin dun lead, une politique dintégration a besoin dun lead politique.

 

Serge Kollwelter

président de l’ASTI 1979-2009

Aucun commentaire: