lundi 1 octobre 2018

Un catalogu de bonnes intentions

Luxemburger Wort 29 septembre 2018


Un catalogue de bonnes intentions

Le 13 juillet un évènement est passé quasi inaperçu, alors même qu’on l’attendait depuis 2014 : le Conseil de gouvernement a marqué son accord avec le Plan d’Action National pluriannuel d’Intégration (PAN Intégration). Une comparaison s’impose avec la démarche en parallèle du Kulturentwecklongsplang fortement médiatisé. Reste que le PAN Intégration est prévu expressément par la loi. Sautons les 4 années de retard et regardons de plus près des contenus de ce « plan ».

Saluons d’emblée la résurrection du comité interministériel, prévu par la loi de 2008. Il y aura lieu d’en faire un véritable instrument de pilotage de la politique d’intégration en l’ouvrant aux partenaires sociaux et à la société civile et en publiant les rapports de réunion. Le comité interministériel de la Coopération peut servir d’exemple.
Le PAN contient de nombreuses pistes intéressantes.
Un plan ne peut se satisfaire de pistes, il doit se baser sur des constats, fixer des objectifs, définir des priorités et attribuer des moyens humains et financiers.
Le présent document ne comprend aucun état des lieux, pas un seul chiffre ou statistique et moins encore une véritable étude de la situation. Dommage, d’autant plus qu’on ne part pas de zéro. Au fil des décennies des projets d’intégration ont vu le jour, d’aucuns ont fait leur preuve et il serait intéressant de savoir quels enseignements en ont été tirés. Le programme Mateneen de l’Oeuvre Nationale de Secours Grande - Duchesse Charlotte a fait fleurir d’autres encore, sans oublier ceux cofinancés par des fonds européens. Au fil des pages, aucune trace de ces pratiques. N’y aurait - il pas eu d’évaluations faites, de conclusions tirées, d’enseignements repris?

Le PAN distingue deux types de destinataires, tout en oubliant le troisième. Des chapitres sont consacrés aux demandeurs de protection internationale - environ 2 mille personnes par an. D’autres aux citoyens de l’UE ou de pays tiers de  20 à 25 mille par an, à savoir 100 mille nouveaux-venus les 5 dernières années ! Si, comme la loi d’intégration le stipule, l’intégration est à double sens, les résidents - luxembourgeois et étrangers sont concernés aussi. Le PAN fait complètement l’impasse sur ces « acteurs » - là, de loin les plus nombreux.

Pistes et « mesures ».

De nombreux objectifs ont été formulés: j’en ai compté 16.
Regardons de plus près le tout premier qui pourra servir pour analyser les autres: « Développer l’accueil et l’encadrement social en accordant une attention particulière aux personnes vulnérables ». Il s’agit en l’occurrence de personnes demandant une protection comme réfugié. Ce volet est fort important puisqu’il s’agit de se donner les moyens d’agir sur les traumatismes. Il comprend les « mesures » suivantes:
1.         Offrir un encadrement social individualisé ;
2.         Développer des mécanismes de réponse aux urgences quotidiennes ;
3.         Evaluer des aides matérielles afin de faciliter l’autonomisation des DPI dès son arrivée ;
4.         Développer et organiser le dépistage de personnes vulnérables et/ou traumatisées ;
5.         Evaluer les procédures et actions existantes de repérage et d’encadrement des personnes vulnérables ;
6.         Promouvoir la prise en compte des besoins spécifiques des personnes vulnérables et de chaque genre.

Il n’est malheureusement pas fait état de la durée de la procédure d’examen de la demande. Or, selon les experts internationaux et luxembourgeois, la prévalence des troubles mentaux et somatiques, la retraumatisation, la dissociation et la chronification sont directement proportionnels à la durée de la procédure.
Pour cet objectif et ses « mesures » on cherchera en vain dans le texte les moyens à mettre en oeuvre, les responsabilités respectives, les priorités. Cette remarque vaut pour tous les objectifs.

Lorsqu’il est question - à juste titre - d’impliquer les autorités communales dans le processus d’intégration, pas un mot sur le GRESIL existant, à savoir le GRoupe d’Echange et de Soutien en matière d’Intégration au niveau Local, ni sur les enseignements des deux assises nationales de l’intégration locale qui se sont tenues ces dernières années et les bonnes pratiques y présentées.
Le PAN veut « accompagner et outiller les communes pour développer des mesures en matière d’intégration au niveau local, notamment par la promotion des Plans communaux d’intégration (PCI) »  sans cependant donner la moindre indication comment cet accompagnement se fera(it). Sont oubliés au niveau local les streetworkers, le travail communautaire structuré dans certains quartiers, la Quartiersstuff du Fonds de Kirchberg, les anciens Plans de réussite scolaire (PRS) des écoles fondamentales renommés Plan de développement de l’établissement scolaire (PDS), autant d’initiatives existantes et essentielles pour (re-)créer des liens sociaux .
Le site internet destiné à l’intégration locale INTEGRALOC, mis en place par l’OLAI, a fait long feu et est trépassé depuis des années.

Le PAN veut améliorer l’employabilité des non - luxembourgeois, dont celle des réfugiés.
Depuis les premiers jours de ce qu’on appelle souvent la crise des réfugiés en Europe, la reconnaissance des qualifications des réfugiés est devenue l’un des outils essentiels pour les intégrer aux sociétés européennes.
Après un projet pilote en 2017 soutenu par le HCR en Grèce et qui a été une réussite, le Conseil de l’Europe a réédité pour la période 2018-2020 l’initiative du "Passeport européen de Qualifications pour les Réfugiés", un projet de consolidation de capacités qui a pour but d’évaluer, selon une méthodologie éprouvée, le niveau d’éducation des réfugiés démunis de documents complets, leur expérience professionnelle et leur maîtrise linguistique. Pas de mention de ce passeport dans le PAN !

Vie autonome et participation

Autre volonté exprimée par les auteurs: l’autonomisation des demandeurs de protection devant leur permettre de sortir de l’assistanat et pouvoir s’assumer pleinement une fois le statut obtenu, donc après des mois, voire des années d’attente en procédure.
Si le gouvernement est en train d’équiper les foyers de cuisines pour permettre aux concernés de préparer eux - mêmes leurs repas, encore faudrait - il qu’ils puissent aussi faire leurs achats. Le PAN passe outre à l’expérience d’attribution de cartes de crédit à Redange.
La loi prévoit la possibilité des demandeurs de protection de « participer à la gestion des ressources matérielles et des aspects non matériels de la vie dans la structure d’hébergement par l’intermédiaire d’un comité ou d’un conseil consultatif représentatif des personnes ». A ma connaissance depuis 2015 aucun foyer s’est doté de pareil organe.
Le PAN ne mentionne pas le gardiennage des foyers de demandeurs de protection par des firmes de sécurité et moins encore une alternative à cette pratique très coûteuse.

Après le désastre du référendum de 2015, le volet participation à la société des non - luxembourgeois est abordé dans le PAN avec la même nonchalance et absence de conviction: service minimum! On se limite à vouloir « Renforcer la participation des représentants des non-Luxembourgeois à l'élaboration des politiques d'intégration, ceci notamment dans les Commissions consultatives communales d’intégration (CCCI) et le Conseil national pour étrangers (CNE) ». Jusqu’en 2017 les structures communales n’ont guère répondu aux exigences légales, comme le souligne la réponse à la question parlementaire 2805 et le CNE dispose en tout et pour tout d’un budget de 15 000 euros ! Le PAN ne prévoit rien pour remédier à cet état des choses et donner corps à l’objectif visé.
La fin des dérogations dans le domaine du droit de vote communal des étrangers dont se targue le Grand – Duché, n’est pas envisagée. Notons qu’en Belgique - autre pays à vote obligatoire - aucune période de résidence n’est exigée pour participer aux élections municipales. L’engagement de la Chambre des Députés du 27 janvier 2011 pour réduire la période de résidence est passée aux oubliettes ….

Concernant la scolarisation pas moins de 20 « mesures » sont listées. Prenons au hasard la mesure 11 qui entend « valoriser la langue maternelle ». Quelle langue maternelle? Le Luxembourgeois ou les langues maternelles des enfants migrants? La mesure 15 veut « promouvoir les échanges entre tous les acteurs investis dans la scolarité ». Des idées généreuses enrichissant le catalogue, sans apporter le moindre élément opérationnel. Revenons à la mesure 14 qui tend à « promouvoir des échanges entre écoles luxembourgeoises, privées, internationales au Luxembourg, et entre écoles de la Grande Région ». Vaste ambition qui devrait contribuer aux échanges entre enfants de toutes origines, sachant que par exemple dans la capitale l’école ne peut plus guère jouer son rôle de brassage social puisque près de la moitié des élèves ne fréquentent pas l’école publique. Et si l’on avait préconisé des jumelages entre lycées de la Grande Région avec des séjours (linguistiques) croisés d’autant plus envisageable que le Ministère pour la Grande Région relève de la même responsabilité que le PAN?

Pour le logement la modestie du PAN est aux antipodes de l’urgence due à la pénurie de logements à prix abordables et se résume à « soutenir les communes dans la mise à disposition de logements, par une coopération avec d’autres acteurs du terrain ». Motus et bouche cousue sur l’hypothèse de répartir les demandeurs de protection sur les communes, sachant que tous les frais en matière d’acquisition et d’aménagement de logements sont couverts à 100% par l’Etat. Le souci de créer massivement des logements pour toutes sortes de « catégories » sociales devrait être primordial, les besoins en la matière vont bien au-delà des réfugiés.
Rien non plus pour des logements de travailleurs immigrés qui n’ont d’autre refuge que des « chambres de café ».

Vers l’action

Alors que le PAN ne mentionne pas de priorités, des appels à projets sur des thématiques prioritaires seront lancés. Reste à les déterminer tout comme les critères et indicateurs.
Le premier PAN était un «plan d’action pluriannuel d’intégration et de lutte contre les discriminations ». Pour le 2e PAN les auteurs estiment que « Les sujets de la lutte contre les discriminations, la promotion de la diversité et l’égalité des chances se fondent naturellement dans les axes de ce plan, et en constituent des parties intégrantes.»
Cherchez, vous ne les trouverez point! Le Centre pour l’Egalité de Traitement devra attendre encore pour être revalorisé! Le Conseil de l’Europe constate dans sa publication récente sur la « Situation de la démocratie, des droits de l'homme et de l'Etat de droit » (5e rapport du Conseil de l’Europe, mai 2018) que « (..) les organismes de promotion de l’égalité n’ont pas les compétences suffisantes pour réaliser un travail efficace, notamment la compétence pour recevoir des plaintes, fournir une assistance juridique et une représentation juridique aux personnes victimes de discrimination et d’intolérance. Ils ne peuvent pas non plus saisir des institutions et tribunaux en cas de discrimination (Luxembourg et Suisse, par exemple) »
Petite astuce du présent plan, certes pluriannuel, mais non limité dans le temps : une période sans plan ne se reproduira plus!
A noter que les éléments de critique ou d’omission évoqués dans la présente analyse avaient été transmis au Ministère de la Famille en amont de la version approuvée par le conseil de gouvernement.

Si l’intégration est à double sens et concerne donc aussi (tous) les résidents, dommage qu’on ne trouve rien à leur propos. Les Wahlprüfsteine du Ronnen Desch y consacrent leur premier point: « La politique d’accueil et d’intégration doit commencer par une pédagogie auprès des résidents (et des frontaliers). »

serge kollwelter
Luxembourg



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