Un
catalogue de bonnes intentions
Le 13
juillet un évènement est passé quasi inaperçu, alors même qu’on l’attendait
depuis 2014 : le Conseil de gouvernement a marqué son accord avec le Plan
d’Action National pluriannuel d’Intégration (PAN Intégration). Une comparaison
s’impose avec la démarche en parallèle du Kulturentwecklongsplang fortement
médiatisé. Reste que le PAN Intégration est prévu expressément par la loi.
Sautons les 4 années de retard et regardons de plus près des contenus de ce
« plan ».
Saluons
d’emblée la résurrection du comité interministériel, prévu par la loi de 2008.
Il y aura lieu d’en faire un véritable instrument de pilotage de la politique
d’intégration en l’ouvrant aux partenaires sociaux et à la société civile et en
publiant les rapports de réunion. Le comité interministériel de la Coopération
peut servir d’exemple.
Le PAN contient de
nombreuses pistes intéressantes.
Un plan ne
peut se satisfaire de pistes, il doit se baser sur des constats, fixer des
objectifs, définir des priorités et attribuer des moyens humains et financiers.
Le présent
document ne comprend aucun état des lieux, pas un seul chiffre ou statistique
et moins encore une véritable étude de la situation. Dommage, d’autant plus
qu’on ne part pas de zéro. Au fil des décennies des projets d’intégration ont
vu le jour, d’aucuns ont fait leur preuve et il serait intéressant de savoir
quels enseignements en ont été tirés. Le programme Mateneen de l’Oeuvre
Nationale de Secours Grande - Duchesse Charlotte a fait fleurir d’autres
encore, sans oublier ceux cofinancés par des fonds européens. Au fil des pages,
aucune trace de ces pratiques. N’y aurait - il pas eu d’évaluations faites, de
conclusions tirées, d’enseignements repris?
Le PAN
distingue deux types de destinataires, tout en oubliant le troisième. Des
chapitres sont consacrés aux demandeurs de protection internationale - environ
2 mille personnes par an. D’autres aux citoyens de l’UE ou de pays tiers de 20 à 25 mille par an, à savoir 100 mille
nouveaux-venus les 5 dernières années ! Si, comme la loi d’intégration le
stipule, l’intégration est à double sens, les résidents - luxembourgeois et
étrangers sont concernés aussi. Le PAN fait complètement l’impasse sur ces
« acteurs » - là, de loin les plus nombreux.
Pistes et
« mesures ».
De nombreux
objectifs ont été formulés: j’en ai compté 16.
Regardons
de plus près le tout premier qui pourra servir pour analyser les autres: « Développer
l’accueil et l’encadrement social en accordant une attention particulière aux
personnes vulnérables ». Il s’agit en l’occurrence de personnes demandant
une protection comme réfugié. Ce volet est fort important puisqu’il s’agit de
se donner les moyens d’agir sur les traumatismes. Il comprend les
« mesures » suivantes:
1.
Offrir un encadrement social individualisé
;
2.
Développer des mécanismes de réponse aux
urgences quotidiennes ;
3.
Evaluer des aides matérielles afin de
faciliter l’autonomisation des DPI dès son arrivée ;
4.
Développer et organiser le dépistage de
personnes vulnérables et/ou traumatisées ;
5.
Evaluer les procédures et actions
existantes de repérage et d’encadrement des personnes vulnérables ;
6.
Promouvoir la prise en compte des besoins
spécifiques des personnes vulnérables et de chaque genre.
Il n’est
malheureusement pas fait état de la durée de la procédure d’examen de la
demande. Or, selon les experts internationaux et luxembourgeois, la prévalence
des troubles mentaux et somatiques, la retraumatisation, la dissociation et la
chronification sont directement proportionnels à la durée de la procédure.
Pour cet
objectif et ses « mesures » on cherchera en vain dans le texte les
moyens à mettre en oeuvre, les responsabilités respectives, les priorités.
Cette remarque vaut pour tous les objectifs.
Lorsqu’il
est question
- à juste titre - d’impliquer les autorités communales dans le
processus d’intégration, pas un mot sur le GRESIL existant, à savoir le GRoupe
d’Echange et de Soutien en matière d’Intégration au niveau Local, ni sur les
enseignements des deux assises nationales de l’intégration locale qui se sont
tenues ces dernières années et les bonnes pratiques y présentées.
Le PAN veut
« accompagner et outiller les communes pour développer des mesures en
matière d’intégration au niveau local, notamment par la promotion des Plans
communaux d’intégration (PCI) » sans cependant donner la moindre indication
comment cet accompagnement se fera(it). Sont oubliés au niveau local les
streetworkers, le travail communautaire structuré dans certains quartiers, la
Quartiersstuff du Fonds de Kirchberg, les anciens Plans de réussite scolaire
(PRS) des écoles fondamentales renommés Plan de développement de
l’établissement scolaire (PDS), autant d’initiatives existantes et
essentielles pour (re-)créer des liens sociaux .
Le site
internet destiné à l’intégration locale INTEGRALOC, mis en place par l’OLAI, a
fait long feu et est trépassé depuis des années.
Le PAN veut
améliorer l’employabilité des non - luxembourgeois, dont celle des réfugiés.
Depuis les
premiers jours de ce qu’on appelle souvent la crise des réfugiés en Europe, la
reconnaissance des qualifications des réfugiés est devenue l’un des outils
essentiels pour les intégrer aux sociétés européennes.
Après un
projet pilote en 2017 soutenu par le HCR en Grèce et qui a été une réussite, le
Conseil de l’Europe a réédité pour la période 2018-2020 l’initiative du "Passeport
européen de Qualifications pour les Réfugiés", un projet de consolidation de capacités qui a pour
but d’évaluer, selon une méthodologie éprouvée, le niveau d’éducation des
réfugiés démunis de documents complets, leur expérience professionnelle et leur
maîtrise linguistique. Pas de mention de ce passeport dans le PAN !
Vie
autonome et participation
Autre
volonté exprimée par les auteurs: l’autonomisation des demandeurs de protection
devant leur permettre de sortir de l’assistanat et pouvoir s’assumer pleinement
une fois le statut obtenu, donc après des mois, voire des années d’attente en
procédure.
Si le
gouvernement est en train d’équiper les foyers de cuisines pour permettre aux
concernés de préparer eux - mêmes leurs repas, encore faudrait - il qu’ils
puissent aussi faire leurs achats. Le PAN passe outre à l’expérience
d’attribution de cartes de crédit à Redange.
La loi
prévoit la possibilité des demandeurs de protection de « participer à la
gestion des ressources matérielles et des aspects non matériels de la vie dans
la structure d’hébergement par l’intermédiaire d’un comité ou d’un conseil consultatif
représentatif des personnes ». A ma connaissance depuis 2015 aucun foyer
s’est doté de pareil organe.
Le PAN ne
mentionne pas le gardiennage des foyers de demandeurs de protection par des
firmes de sécurité et moins encore une alternative à cette pratique très
coûteuse.
Après le
désastre du référendum de 2015, le volet participation à la société des non -
luxembourgeois est abordé dans le PAN avec la même nonchalance et absence de
conviction: service minimum! On se limite à vouloir « Renforcer la
participation des représentants des non-Luxembourgeois à l'élaboration des
politiques d'intégration, ceci notamment dans les Commissions consultatives
communales d’intégration (CCCI) et le Conseil national pour étrangers
(CNE) ». Jusqu’en 2017 les structures communales n’ont guère répondu aux
exigences légales, comme le souligne la réponse à la question
parlementaire 2805 et le CNE
dispose en tout et pour tout d’un budget de 15 000 euros ! Le PAN
ne prévoit rien pour remédier à cet état des choses et donner corps à
l’objectif visé.
La fin des dérogations dans
le domaine du droit de vote communal des étrangers dont se targue le Grand –
Duché, n’est pas envisagée. Notons qu’en Belgique - autre pays à vote
obligatoire - aucune période de résidence n’est exigée pour participer aux
élections municipales. L’engagement de la Chambre des Députés du 27 janvier
2011 pour réduire la période de résidence est passée aux oubliettes ….
Concernant
la scolarisation pas moins de 20 « mesures » sont listées. Prenons au
hasard la mesure 11 qui entend « valoriser la langue maternelle ».
Quelle langue maternelle? Le Luxembourgeois ou les langues maternelles des enfants
migrants? La mesure 15 veut « promouvoir les échanges entre tous les
acteurs investis dans la scolarité ». Des idées généreuses enrichissant le
catalogue, sans apporter le moindre élément opérationnel. Revenons à la mesure
14 qui tend à « promouvoir des échanges entre écoles luxembourgeoises,
privées, internationales au Luxembourg, et entre écoles de la Grande
Région ». Vaste ambition qui devrait contribuer aux échanges entre enfants
de toutes origines, sachant que par exemple dans la capitale l’école ne peut
plus guère jouer son rôle de brassage social puisque près de la moitié des
élèves ne fréquentent pas l’école publique. Et si l’on avait préconisé des
jumelages entre lycées de la Grande Région avec des séjours (linguistiques)
croisés d’autant plus envisageable que le Ministère pour la Grande Région
relève de la même responsabilité que le PAN?
Pour le
logement la modestie du PAN est aux antipodes de l’urgence due à la pénurie de
logements à prix abordables et se résume à « soutenir les communes dans la
mise à disposition de logements, par une coopération avec d’autres acteurs du
terrain ». Motus et bouche cousue sur l’hypothèse de répartir les
demandeurs de protection sur les communes, sachant que tous les frais en
matière d’acquisition et d’aménagement de logements sont couverts à 100% par
l’Etat. Le souci de créer massivement des logements pour toutes sortes de
« catégories » sociales devrait être primordial, les besoins en la
matière vont bien au-delà des réfugiés.
Rien non
plus pour des logements de travailleurs immigrés qui n’ont d’autre refuge que
des « chambres de café ».
Vers l’action
Alors que le PAN ne
mentionne pas de priorités, des appels à projets sur des thématiques
prioritaires seront lancés. Reste à les déterminer tout comme les critères et
indicateurs.
Le premier
PAN était un «plan d’action pluriannuel d’intégration et de lutte contre
les discriminations ». Pour le 2e PAN les auteurs estiment que « Les
sujets de la lutte contre les discriminations, la promotion de la diversité et
l’égalité des chances se fondent naturellement dans les axes de ce plan, et en
constituent des parties intégrantes.»
Cherchez,
vous ne les trouverez point! Le Centre pour l’Egalité de Traitement devra
attendre encore pour être revalorisé! Le Conseil de l’Europe constate dans sa
publication récente sur la « Situation de la
démocratie, des droits de l'homme et de l'Etat de droit » (5e rapport du
Conseil de l’Europe, mai 2018) que « (..) les organismes de promotion de l’égalité
n’ont pas les compétences suffisantes pour réaliser un travail efficace,
notamment la compétence pour recevoir des plaintes, fournir une assistance
juridique et une représentation juridique aux personnes victimes de
discrimination et d’intolérance. Ils ne peuvent pas non plus saisir des
institutions et tribunaux en cas de discrimination (Luxembourg et Suisse, par
exemple) »
Petite
astuce du présent plan, certes pluriannuel, mais non limité dans le temps : une
période sans plan ne se reproduira plus!
A noter que
les éléments de critique ou d’omission évoqués dans la présente analyse avaient
été transmis au Ministère de la Famille en amont de la version approuvée par le
conseil de gouvernement.
Si
l’intégration est à double sens et concerne donc aussi (tous) les résidents,
dommage qu’on ne trouve rien à leur propos. Les Wahlprüfsteine du Ronnen Desch y
consacrent leur premier point: « La politique d’accueil et d’intégration
doit commencer par une pédagogie auprès des résidents (et des frontaliers). »
serge
kollwelter
Luxembourg
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